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"Suite inoubliable", dernier roman d'Akira Mizubayashi : la musique comme ultime rempart contre la folie humaine

Dans un récit à cheval entre les années 1940 et aujourd'hui, les personnages du romancier japonais survivent tant bien que mal aux horreurs de la guerre, aidés par leur amour pour la musique. Puissant.
Article rédigé par Juliette Pommier
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4min
Rencontre avec le romancier japonais Akira Mizubayashi, à la librairie Point-Virgule, à Aurillac, le 11 mai 2023. (PHOTOPQR/LA MONTAGNE/JEREMIE FULLERINGER / MAXPPP)

Akira Mizubayashi a fait de la musique le fil rouge de tous ses romans. En cette rentrée littéraire 2023,  l'écrivain poursuit avec Suite inoubliable, paru aux éditions Gallimard, son étude des instruments à cordes frottées : après le violon d'Âme brisée (2020, Prix des libraires) et l'alto de Reine de cœur (2022), c'est au violoncelle qu'il consacre son nouveau titre.

Romancier japonais d'expression française, sa "langue paternelle", Akira Mizubayashi a séjourné en France entre les années 1970 et 1980, étudiant à l'université Paul-Valéry de Montpellier puis à l'Ecole normale supérieure. Il réside aujourd'hui à Tokyo.

Une photo et une lettre cachées dans un violoncelle

Ken Mizutani est un génie du violoncelle. À seulement 19 ans, le jeune homme remporte le premier prix du concours international de Lausanne de 1939. Cette distinction lui donne "le privilège de se servir [...] d'un violoncelle d'une très grande valeur, fabriqué en 1712 par le luthier vénitien Matteo Goffriller". Mais au printemps 1945, Ken reçoit "le fatidique petit papier rouge d'incorporation" : il doit rejoindre les rangs de l'armée japonaise impériale et partir au front. Le prodige abandonne ses proches et son violoncelle, la mort dans l'âme, forcé de servir un pays "en proie au démon de la guerre et du despotisme qui bafoue les consciences..."

Soixante-dix ans plus tard, à Paris, en plein concert, le célèbre violoncelliste Guillaume Walter entend "un petit dérèglement sonore à l'intérieur de son instrument", un "imperceptible changement de sonorité” dans son interprétation du Concerto d’Edward Elgar. Pour le luthier Jacques Maillard, le diagnostic est sans appel : l'instrument, un Matteo Goffriller de 1712, taillé dans un bois "rouge noir sombre", souffre d’une “fracture d’âme”. Il charge son élève Pamina de réparer "l'âme", une pièce de bois située à l'intérieur du violoncelle.

Intriguée, l'apprentie est "intimement persuadée" d'avoir déjà vu le Goffriller. Alors qu'elle détable l'instrument, elle découvre une petite photo d'“un jeune homme en train de jouer du violoncelle”, et “deux feuilles de papier enroulées” dans le tasseau de l'instrument. Une lettre "rédigée d’une écriture fine et régulière”, datée du 2 avril 1945, par un certain Ken Mizutani...

Survivre "grâce à la musique"

Le nouveau roman d'Akira Mizubayashi met aussi en lumière le travail d'orfèvre des luthiers : l'écrivain offre une plongée dans le monde de minutie et de patience de ces artisans hors pair, sublimée par une tendre histoire de famille où chacun a un rôle à jouer.

Au travers de cette enquête polyphonique, sur les traces de Ken Mizutani et son violoncelle, Akira Mizubayashi approfondit les thèmes qui lui sont chers. Destins brisés par la Seconde Guerre mondiale, transmission intergénérationnelle, un amour inconditionnel pour la musique... Découpé en six mouvements, le roman entremêle les époques et offre au lecteur une galerie de personnages mélomanes, rassemblés au-delà des époques par leur passion. C'est elle qui permet aux uns de résister contre la folie humaine, aux autres de transmettre la mémoire des oubliés.

Avec Suite inoubliable, le romancier japonais dresse un vibrant plaidoyer contre la guerre. Broyés par un pays "complètement gangrené par une dictature exacerbée fondée sur le culte fanatique de l'empereur", le violoncelliste et ses amis musiciens n'ont d'autre choix que de se soumettre à un pouvoir despotique et meurtrier. Seule lumière dans cet Enfer, les quelques concerts qu'ils arrivent encore à donner. "Les trois musiciens ne vivaient pas, ils survivaient grâce à la musique."

"Suite inoubliable" (2023) est le nouveau roman d'Akira Mizubayashi. (Editions Gallimard)

Suite inoubliable, Akira Mizubayashi (éditions Gallimard - 256 pages - 20€, parution le 17 août 2023)

Extrait : p.26-27

"Une musique profonde, toute intérieure, émerge du silence de mon atelier. Elle résonne, par le déploiement de sons graves d'un rythme lent, imperceptiblement mouvant, voire changeant, comme la voix grave d'un moine prononçant une longue et intense prière sans paroles, secouée quelques fois par une émotion forte qui monte des profondeurs de son cœur. [...] Ken, au plus fort de l'émotion suscité par sa propre interprétation, est dans un état d'extase. Le violoncelle du luthier vénitien Matteo Goffriller l'emmène rejoindre un ailleurs lointain, à des hauteurs vertigineuses au-dessus du territoire nippon où, dit-il, la raison et la conscience subissent une torture permanente infligée par un fanatisme exacerbé."

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