"Tombée du ciel" d'Alice Develey : un premier roman déchirant sur l'anorexie
Pour son premier roman, Alice Develey plonge dans ses souvenirs d'adolescence faits de traitements et de blouses blanches. Elle évoque l'anorexie et expose le quotidien de jeunes patients à l'hôpital, un lieu qui "ne devrait pas exister", "une machine à broyer les enfants". Publié par L'Iconocaste, Tombée du ciel est à retrouver en librairie à partir du 22 août.
L'histoire : Alice a 14 ans. Adolescente un brin gothique, elle termine son année de troisième, lit des romans sans discontinuer, se promène entre les vies de ses parents divorcés et dialogue essentiellement avec Sissi, une bête qui s'est installée dans sa tête depuis longtemps.
Alertée par sa maigreur, une médecin demande son hospitalisation. Alice arrive alors dans un service où séjournent d'autres adolescentes. Le personnel de l'hôpital s'unit pour un objectif : lui faire prendre du poids. Mais la jeune femme, loin de s'alimenter davantage, ne mange plus du tout. Entre les murs de la chambre, les traitements que subit la jeune fille gagnent en violence sans gagner en résultats.
Journal intime
"Sous le matelas, j'ai caché un cahier. Mon journal", écrit Alice Develey au tout début de son roman. Tombée du ciel se présente ainsi comme le journal intime d'une jeune fille de 14 ans, un cahier planqué dans le coin d'une chambre comme celui de n'importe quelle adolescente. L'ouvrage en reprend les codes : écriture rapide, récit de la quotidienneté, avis sur les nouvelles rencontres... Un geste à l'apparence banale qui est pourtant un acte d'urgence. Alice écrit parce qu'elle veut témoigner de sa vie depuis son hospitalisation. Laisser une trace ne peut plus attendre, son suicide est prévu pour le lendemain.
Loin de la légèreté de la chanson éponyme de Jacques Higelin, Tombée du ciel est un ouvrage dur. Alice Develey, hospitalisée à l'adolescence pour soigner, entre autres, son anorexie, écrit ce premier roman à l'aune de son expérience. Seize ans plus tard, la douleur et la colère sont encore vifs. L'autrice les transmet avec force dans ce texte cru, alarmant aussi, parfois difficile à recevoir, mais plus difficile encore à lâcher.
Comprendre l'anorexie, dévoiler l'hôpital
"Je vais mourir dans une cellule d'unité psychiatrique, et il faut qu'on comprenne pourquoi." Dans ce journal de la dernière heure, la narratrice raconte tout. Elle revient sur les premiers signes de l'anorexie, la phobie du sucre d'abord, puis la surenchère des privations menant jusqu'aux repas constitués d'une pomme, tickets directs pour l'hospitalisation. Au fil des chapitres, elle dévoile aussi ce qu'est vraiment l'anorexie, comment les patientes réfléchissent, se perçoivent. Une pédagogie nécessaire autour d'une maladie faussement bien connue et qui révèle l'inadéquation totale des traitements médicaux.
Contrat visant à priver de toutes affaires personnelles en cas de non prise de poids, repas prodigués par sondes, chantage permanent, médicaments par dizaines... Tombée du ciel est un cri du cœur. Alice Develey écrit les pratiques qu'elle a subies et qui, comme dans beaucoup d'autres cas, ne mènent à rien. Sans culpabiliser le personnel médical, car ce premier roman traduit aussi le manque de moyen des hôpitaux, l'autrice ouvre grand les fenêtres d'un monde clos.
"Qui imaginerait qu'une fillette dort ici, derrière cette barricade de clés ?", écrit-elle encore. Personne, peut-être, mais ce premier roman le montre bien. Après l'ouverture des fenêtres, celle du débat et des financements ?
"Tombée du ciel" d'Alice Develey (L'Iconoclaste, 400 pages, 20,90 euros)
Extrait : "Je ne suis qu'une gosse de 14 ans dans un pyjama trop grand. Quand je me mets debout, on jurerait que je tiens sur mes genoux. Mon dos a pris la forme que prennent les vieillards dans leur fauteuil roulant. Je m'effondre sur moi-même. Ma frange trop longue maintenant me coupe le visage en deux. Je n'y vois plus rien, mais il n'y a rien à voir de toute façon. Depuis que je suis ici, j'habite une terre sans soleil. Un monde de volcans éteints, de cendres grises et de cratères profonds comme mes trous de mémoire. Parfois, un soupçon de souvenirs épais comme un tissu d'étoiles me revient et je ris. Souvent aussi, à peine ravivées, les étincelles s'évaporent et j'oublie. Je disparais sous les draps en espérant que la nuit apporte ses réponses. Mais les ténèbres restent sourdes à mes appels. Je crie dans un désert." ("Tombée du ciel", pages 9-10).
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