"Une sale affaire" de Virginie Linhart : récit d'un procès familial et littéraire
Virginie Linhart, l'autrice et réalisatrice a beaucoup travaillé sur le sujet de mai 68, une période qu'elle a vécue aux côtés de ses parents militants. Elle a également réalisé plusieurs documentaires sur la Shoah, moment de l'histoire qui constitue un autre pan du récit familial. Dans son œuvre, Virginie Linhart mêle habilement le personnel au collectif, fait émerger un "nous". Cette fois-ci, avec Une sale affaire, c'est un écrit plus intime. L'autrice y livre un moment de sa vie : celui de son procès.
L'histoire : Le 3 janvier 2020, Virginie Linhart reçoit un appel d'Alix Penent, son éditrice. Son ouvrage L'Effet maternel doit paraître au courant du mois. Alors qu'elle est juchée sur un vélo, l'autrice décide de répondre : il peut s'agir d'une urgence. Et il y a bien urgence. La maison d'édition vient de recevoir une mise en demeure. La mère de Virginie Linhart et l'ancien compagnon de l'autrice désigné par l'initiale "E." exigent de lire le manuscrit avant publication.
Cette lecture qui n'était pas à l'agenda débouche sur une demande : la suppression de 68 pages. Et cette demande mène droit au tribunal. Dans Une sale affaire, Virginie Lhinart fait le récit de cette annonce et dresse la chronique d'un procès qu'elle remporte. Elle revient sur la mise à l'écriture, convoque les souvenirs qui l'ont déclenchée, parle de son enfance, de sa jeunesse et de sa vie. Tandis que le drôle de duo formé par sa mère et son ex-compagnon l'accuse "d'atteinte à la vie privée", une question taraude l'autrice. À qui appartient l'histoire ?
Un jugement et une vie
Virginie Linhart est la fille de Robert Linhart et de Nicole Colas-Linhart. Il est auteur de L'Établi (Minuit, 1978) et fondateur du mouvement maoïste en France. Elle est chercheuse en radio toxicologie et fut également pratiquante et théoricienne de l'établissement (pratique politique des intellectuels qui consiste à travailler en usine). L'autrice est donc l'enfant de deux militants, de deux soixante-huitards. C'est ainsi, sa mère, qui a porté haut et fort les revendications d'une génération pour qui il était "interdit d'interdire" qui tente d'empêcher sa fille de s'exprimer, qui s'oppose à la libre parole. La démarche marque le lecteur par sa violence. Peut-être à plus forte raison que la plainte se fait conjointement à celle de "E.", ancien partenaire de l'autrice et géniteur de la fille aînée de cette dernière. Une enfant dont il prônait l'avortement et qu'il n'a jamais voulu rencontrer.
"Les pages écrites qu'ils souhaitaient voir supprimer font de moi une fille sans mère et une mère sans amant, une sorte de Vierge Marie contemporaine." La survenue du jugement, qui force l'autrice à demander à son entourage des attestations prouvant que son ouvrage évoque un vécu et non pas le fruit de fantasmes, la replonge dans ses souvenirs, dans "cette enfance qui revient comme un boomerang". De la même manière que dans L'Effet maternel, elle évoque la surexposition des filles de sa génération à la sexualité, sa grossesse seule, la perte du fœtus jumeau de sa fille, sa maternité. Autant de témoignages qui résonnent et bouleversent.
Triomphe du littéraire
Si "l'écriture ne guérit rien", comme l'autrice le déclare au début de l'ouvrage, celle qui a tant travaillé sur des sujets qui touchent à l'histoire collective ne s'arrête pas de prouver l'importance des récits. Car Une sale affaire est avant tout l'histoire d'une lutte pour être publiée, s'exprimer et se faire entendre.
Avec l'exposé du jugement, Virginie Linhart livre une déclaration d'amour à la littérature. Un amour que la justice semble partager. La chronique judiciaire, faite cette fois-ci par celle qui est jugée, témoigne de la force des lois qui protègent la libre création. L'autrice découvre que des textes sont entièrement dédiés à la question de l'autofiction et que toute personne est en droit d'écrire, ne leur en déplaise, au sujet de ses proches. Comme un geste, Une sale affaire a été publié le 3 janvier, quatre ans jour pour jour après l'annonce de la mise en demeure.
"Une sale affaire" de Virginie Linhart (Flammarion, 180 pages, 21 euros).
Extrait :
"C'est une fois le récit fini que j'ai su qu'il y avait un livre. Un livre qui, au-delà de ce qui nous était arrivé à Lune et moi, explorait les raisons pour lesquelles ma mère avait pris le parti du "plaqueur" ; en dépit de la violence de notre rupture, vingt ans plus tard leur amitié perdurait. Pourquoi n'avait-elle jamais renoncé à le voir, à nous parler de lui, s'inventant je ne sais quel rôle de médiatrice que ni Lune ni moi ne sollicitions ? Comment une telle anomalie avait-elle pu survenir dans notre famille ? Écrivant "anomalie", je m'aperçois que j'échoue à trouver le bon mot, le terme exact pour résumer en une formule cette situation hors norme. À quel moment cela avait-il dérapé entre elle, ma mère, et moi, sa fille, qui avions été tellement liées ? Oui, tellement, au point que dans mon extrême jeunesse j'avais failli le payer très cher, car l'amour, la proximité, la complicité c'est bien, la confusion, le mélange, l'emprise ça ne l'est pas ; une frontière subtile mais vitale, entre parent et enfant, qui n'a jamais été respectée dans notre relation." (Une sale affaire, pages 21-22).
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