"Voltiges" de Valérie Tong Cuong : le grand tourbillon de la vie

La romancière Valérie Tong Cuong revient avec un thriller palpitant qui pulvérise les faux-semblants familiaux sur fond de catastrophe climatique.
Article rédigé par Edwige Audibert
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Portrait de l'autrice Valérie Tong Cuong à Paris (FRANCESCA mANTOVANI GALLIMARD)

Quand elle était chanteuse au sein du groupe électro-pop Quark, Valérie Tong Cuong fredonnait d’une voix mutine un refrain à la mélodie entêtante qui disait "désormais Valentine doute, elle sent qu’elle fait fausse route". Une douzaine de romans à succès plus tard, on repense à la ritournelle en se plongeant dans son dernier livre très réussi, Voltiges, qui vient de paraître chez Gallimard. Une intrigue menée tambour battant qui interroge subtilement les grandes décisions de l’existence, décortiquant les lâchetés des uns, les espérances des autres. Qu’avons-nous fait de nos vies ? À quel moment réalise-t-on qu’on s’est trompé ?

L’histoire : Tout commence comme dans une romcom américaine. Eddie et Nora Bauer forment un jeune couple flamboyant à qui tout réussit. Il dirige un grand cabinet de conseil assurant un train de vie très confortable. Elle partage son temps entre la création de bijoux et l’éducation de leur adolescente, Leni, brillante gymnaste, adepte du "tumbling", promise à une belle carrière sous la férule de son entraîneur dévoué, le beau Jonah Sow. Seulement voilà, la mécanique va se gripper le jour où le cabinet d’Eddie fait faillite, ce dernier décidant de cacher la situation à sa famille. A partir de là, l’ambiance se dégrade rapidement chez les Bauer alors que des signes inquiétants liés au changement climatique se manifestent de plus en plus autour d’eux…

Chairs à nu

Valérie Tong Cuong adore gratter le vernis des apparences sociales, faisant émerger comme personne ce qui se joue, une fois les chairs à nu. Elle le fait avec beaucoup de talent dans ce récit à quatre voix, utilisant l’irruption d’une catastrophe climatique comme révélateur abrasif des vérités de chacun. Et cela fonctionne très bien. À commencer par Eddie, archétype du golden boy égotique dont les échecs et les mensonges répétés dévorent le couple. Il incarne un mari sombre, un piètre père sur qui le destin devra taper fort avant qu’il ouvre enfin les yeux et abandonne ses obsessions de réussite. "Dans une situation extrême, tout survient, même l’improbable ". Face à lui, l’entraîneur Jonah Sow oppose une partition solaire, tout en résilience, malgré les failles qui affleurent.

Bouleversants portraits de femmes

Mais c’est aux personnages féminins que l’auteure réserve ses plus belles compositions, et peut-être les plus bouleversantes. Quand elle s’ingénie à faire craquer les coutures du costume un peu trop rigide d’épouse compréhensive et de mère parfaite de Nora, insufflant cette idée que la maternité parfois ne suffit pas. "Avait-elle désiré cet enfant ou bien s’était-elle contentée de céder à une culture injuste liant la réussite d’une vie de femme à sa maternité ? À quelle part d’elle-même avait-elle renoncé le soir où elle avait jeté sa plaquette de pilules dans la poubelle de la salle de bains ?". On pense aux héroïnes de Todd Haynes incarnées par Julianne Moore, à Virginia Woolf aussi. Nora réussira-t-elle à s’émanciper et trouver enfin ce "lieu à soi", comme l’écrivait l’icône féministe britannique dans son essai paru en 1929 ? De son côté, la jeune Leni porte en elle l’espoir du livre. Absolument consciente du désastre écologique qui vient, l’épreuve traversée accélère sa transformation jusqu’à l’envol final : "Elle n’a pas changé d’avis sur le point de non-retour : il est largement dépassé et le progrès technologique ne sauvera pas l’humanité. Ce qui s’est modifié en elle, ce n’est pas une soudaine espérance, c’est sa manière d’exercer sa liberté."

 "Voltiges" de Valérie Tong Cuong, Gallimard, 226 pages, 20,50 euros.

Couverture du livre "Voltiges" de Valérie Tong Cuong (Gallimard)

Extrait : 

"La boule de bowling était là, à la lisière de son esprit, prête à la précipiter de nouveau dans l'obscurité. Elle a réfléchi à ce que la décision d'Eddie changerait dans leur existence, à sa routine qu'elle devrait abandonner, ses précieuses journées de solitude dans l'atelier, entrecoupées des entraînements joyeux de Leni, le duo bien rodé qu'elle formait avec sa fille, chacune respectant l'espace intime de l'autre dans un partage équitable du terrain, et qui bientôt volerait en éclats. Puis elle s'est raisonnée : la force d'une famille et encore plus d'un couple résidait dans sa capacité à s'ajuster, se réadapter, aux évènements, ils sauraient faire face." (p.54)

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