"Le Goût du bonheur" de Sophie Avon : sur les cendres incandescentes des grands incendies

Durant l'été 2022, la grande forêt des Landes connaît des incendies d'une ampleur effrayante. 30 000 hectares partent en fumée. Le roman de Sophie Avon raconte comment ces flammes et bois brûlés changent la vie des habitants d'une charmante maison de campagne.
Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Sophie Avon, autrice de "Le Goût du bonheur" aux Éditions Mercure de France. (SIMON BERNARD)

Dans un entretien à la librairie Mollat de Bordeaux, Sophie Avon, autrice de nombreux romans, raconte la jeunesse de son livre Le Goût du bonheur, sorti en mars au Mercure de France, en ces termes : "D'une petite fantaisie, c'est devenu une tragédie." Au départ, Paul, sa sœur Lili et Jo, son compagnon, s'installent dans une jolie maison de campagne landaise. "Une vieille bâtisse (...). Le terrain rengorgeait de vie : un vieux chêne, des cerisiers, un cèdre majestueux, des oiseaux et de la chlorophylle." Ainsi sont décrits la bâtisse et son airial.

C'est un petit paradis sur terre, un lieu du bonheur avec ces arbres, ces fleurs et le silence de la forêt. Un grand chêne un peu âgé, donc, règne au fond du jardin. Sa description le fait ressembler à un ancien, un patriarche, et son destin s'apparente à celui de tout homme. Il arrive au bout de son âge. Comme une métaphore de cette terre ?

La nature fait le décor

La maison devient le réceptacle des souvenirs. Les parents sont partis d'Algérie et, dans leur exil, ont perdu leur demeure, leur terre, leur passé. Paul est pour Lili ce grand frère aux allures romanesques. Ainsi, au fil des saisons, le lecteur découvre ce portrait de famille et autour, la nature fait le décor : les aulnes, le magnolia, un liquidambar et des centaines de pins, bien sûr. Sans eux, les Landes n'existent pas. Ils règnent en maîtres rectilignes sur cette terre.

Mais un été, le drame survient, le feu dévore la région. L'histoire comme le destin des personnages bifurquent vers la tragédie. Certains perdent leurs maisons, leurs exploitations, d'autres la raison, les villageois guettent les incendiaires. La vengeance rôde. Le "goût du bonheur" se transforme en l'aigre senteur du bois brûlé.

Plus jamais à l'abri du dérèglement climatique

Sophie Avon semble prendre un malicieux plaisir à conter la nature avant qu'elle ne devienne une grande brûlée. "Entre les roses fanées, des bourgeons apparaissaient pourtant, et de nouvelles pousses surgissaient, d'un vert pâle que le froid condamnerait" (page 95). Ce ne seront pas les frimas de l'hiver qui régleront leurs comptes aux bourgeons, mais cet ogre, comme l'appellent les Landais, qu'est le feu, qui les anéantira. Les premiers avertissements du dérèglement climatique sont posés là, comme par inadvertance, quelques pages précédentes. Ils arrivent l'air de rien dans le roman, comme ils nous parviennent depuis des années par ces informations et ces images qui paraissent lointaines. Des inondations meurtrières en Chine, des étendues sans fin de l'Australie dévastées par les flammes. "J'essayais de ne plus penser à l'avenir tout en me réveillant chaque matin accablée par les nouvelles du jour."

Puis quand surgit le feu, le style de Sophie Avon change. Le rythme s'accélère, les mots se culbutent devant la crainte, l'incompréhension et le noir des cendres. Vient le temps des drames des voisins et amis. Au Cercle de Lios, le bar du village voisin, les mines se renfrognent. Le souvenir du drame de 1949, quand le grand incendie a fait 82 victimes et ravagé 52 000 hectares, revient en mémoire.

Il faut revivre

Certains quittent ce coin de bonheur ayant tout perdu de leurs espoirs de vie meilleure, certains meurent de désespoir d'avoir vu leur ferme réduite en cendres et même les poules n'en réchappent pas. Personne n'en sort indemne. Mais il faut revivre, jusqu'au prochain incendie, peut-être… Car il n'y a pas d'autre abri que cette maison du bonheur.

Sophie Avon passe avec élégance en quelque 150 pages d'un récit impressionniste d'une nature réconfortante à l'effroi du grand feu. Elle est romancière, mais a aussi été critique de cinéma, notamment au "Masque et la Plume" sur les ondes de France Inter. Quelques références au 7e art parsèment le livre. Le titre de l'ouvrage d'abord, Le Goût du bonheur, dit l'autrice, est en lien avec le film d'Agnès Varda Le Bonheur (1965). Et alors que Paul et Jo achètent une parcelle de pins, ils la nomment la Colinière en hommage à Jean Renoir. "Je ne pouvais m'empêcher de penser que La Règle du jeu célébrait l'ivresse avant la grande débâcle" (page 98). Le film date de 1939.

"Le Goût du bonheur" de Sophie Avon au Mercure de France, 168 pages, 17 euros

Couverture du roman "Le Goût du bonheur" de Sophie Avon (Éditions Mercure de France). (DR)

Extrait : Il avait anticipé le vide en achetant dans les Landes une vieille bâtisse idéale pour les vacances. Le terrain regorgeait de vie : un vieux chêne, des cerisiers, un cèdre majestueux, des oiseaux et de la chlorophylle. Il pouvait y investir tout son argent puisque désormais, il n'avait plus à se soucier d'en gagner davantage. Après avoir frisé la ruine et côtoyé la fortune, il conservait une rente à sa mesure. Il n'était plus question pour lui que de transmettre ce qu'il possédait, et de profiter du temps qui restait. "Dernier tour de piste !", lançait-il en souriant.

("Le Goût du bonheur", page 8)

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