Le poète et mathématicien Jacques Roubaud, membre du collectif littéraire Oulipo, est mort à l'âge de 92 ans

La poésie à la fois savante et ludique de cette figure de la littérature contemporaine appartient aux classiques de la littérature.
Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
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Le poète Jacques Roubaud, en avril 2008, à Paris. (SIMON ISABELLE / SIPA)

"Compositeur en poésie et retraité de la mathématique", Jacques Roubaud, grand poète contemporain et éminent représentant de l'Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle), un collectif littéraire friand de trouvailles linguistiques, est mort jeudi 5 décembre le jour de ses 92 ans, a appris franceinfo auprès des éditions Gallimard, confirmant une information de Libération.

Auteur prolifique traduit dans plusieurs langues, il a reçu le Goncourt de la poésie 2021 pour l'ensemble de son œuvre, quelques mois après qu'Hervé Le Tellier, autre représentant de cet étrange atelier littéraire, eut obtenu le Goncourt pour son roman L'Anomalie. Jacques Roubaud "est désormais / excusé / à ses réunions / pour cause de décès", a tweeté justement Hervé Le Tellier dans un message reprenant ses codes si particuliers.

Né le 5 décembre 1932 à Caliure (Rhône), Jacques Roubaud est petit-fils d'instituteur et fils d'enseignants résistants. Son père est professeur de philosophie et sa mère, l'une des premières femmes à intégrer l'École normale supérieure en 1927, enseigne l'anglais. Roubaud nourrit à ce titre une passion pour l'Angleterre. Il lit essentiellement en anglais et traduit notamment Lewis Carroll.

Au début des années 1950, il se met à écrire du "mauvais surréalisme, mêlé d'un peu de poésie engagée". Échaudé, il s'éloigne de la poésie entre 20 et 30 ans puis devient professeur de mathématiques à l'université de Rennes, puis pendant vingt ans à Paris 10 Nanterre. Lorsqu'il reprend la plume en 1960, il est aux antipodes de l'écriture automatique des surréalistes : "La mathématique" devient pour lui "une sorte de réservoir possible de règles et de formes poétiques nouvelles." Il compose des sonnets, puise dans les formes chères aux troubadours.

Avec Queneau et Perec à l'Oulipo

En 1967, Raymond Queneau publie ∈ poèmes, son premier recueil de poèmes chez Gallimard et le fait entrer à l'Oulipo, "un groupe à la fois très sérieux et un peu dingue". Bientôt Georges Perec les rejoint. Avec La Vieillesse d'Alexandre (1978) ou Poésie, Etcetera : ménage (1995), il livre ses réflexions sur la poésie contemporaine.

Sa poésie à la fois savante et ludique appartient aux classiques de la littérature contemporaine, comme en témoigne la réception du Grand Prix national de la poésie (1990) et du Grand Prix de littérature Paul-Morand de l'Académie française (2008). Gallimard a publié en 2016 une anthologie personnelle, Je suis un crabe ponctuel (1967-2014).

La poésie face à la mort

Pour cet agrégé de mathématiques et docteur en littérature, la poésie résulte de la rencontre entre sentiment et raison, entre mémoire et nombre, selon ses propres mots.

Au centre de son œuvre : la confrontation avec la disparition. Celle de son frère suicidé évoquée dans son autobiographie romanesque Peut-être ou La Nuit de dimanche, et celle de sa femme, la photographe Alix Cléo Roubaud. "Janvier 1983, rue Vieille du Temple : la chaleur s'éteint / la main tiède / aux doigts anormaux" : le vers est tiré de Quelque chose noir, de 1986. Face à la mort, la mémoire devient conjuration et la versification, rempart contre l'oubli. "Il s'agit d'inscrire des sentiments dans un rythme, dans une forme réfléchie", affirmait ce spécialiste du sonnet, auquel il avait consacré une thèse en 1990 sous la direction d'Yves Bonnefoy.

Inventeur de nouvelles formes poétiques

Jacques Roubaud invente le "trident", une forme poétique de trois vers plus ramassée encore que le haïku (Mélilots : méli-mélo des / mélilots / mêlant mes lilas). Il imagine aussi "la joséfine", la "mongine", formes particulières de permutations mathématiques. Ou bien encore "le baobab", poème saturé en syllabes contenant "haut" et "bas", destiné à être lu par trois voix. "La poésie est à destination à la fois d'un œil et d'une oreille", confiait-il à Télérama.

Le poète a aussi publié de la prose, du théâtre et des livres pour enfants. Ce grand voyageur a enfin également écrit des ouvrages de souvenirs (Le Grand incendie de Londres en 1989 et La Bibliothèque de Warburg en 2002) et une trilogie romanesque consacrée à La Belle Hortense (1985, 1987, 1990).

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