Le premier questionnaire rempli par Marcel Proust à 15 ans, est mis en vente
"Votre mot préféré ? Votre drogue préférée ? Si Dieu existe, que voudriez-vous qu'il vous dise?". Ces courtes questions, posées par Bernard Pivot à la fin de l'émission Apostrophes, donnaient souvent lieu à des échanges jubilatoires avec ses invités. De Soeur Emmanuelle à Woody Allen, en passant par Fabrice Lucchini, tous se sont prêtés au fameux... questionnaire de Proust.
Reportage de V.Gaget / W.Kamli / P.Touileb/ E. Pénot
Trente questions
Un troisième exemplaire vient d'être découvert par Laurent Coulet, un libraire parisien spécialiste des livres anciens. A la demande d'un ami, il se rend en novembre 2017 chez des particuliers. Ils lui tendent une enveloppe en lui disant "Regardez à l'intérieur, cela peut être intéressant". Le libraire découvre alors un petit fascicule de six pages sur lequel il reconnaît immédiatement l'écriture à l'encre noire de Marcel Proust. "Je n'en revenais pas" dit-il. Il décide de faire examiner le document par deux experts graphologues et par Jean-Yves Tadié, biographe de Marcel Proust. Pour eux, dans la forme comme sur le fond, cela ne fait aucun doute : le célèbre écrivain est bien l'auteur de ce document. Ils devinent en décryptant les réponses que Marcel Proust s'adresse à un homme mais sans pouvoir l'identifier.Mes confidences
Sur la couverture, sous le titre "Mes confidences", le futur écrivain a tracé à la plume son prénom et son nom, son lieu de naissance, Auteuil, le lieu et la date des confidences, Paris le 25 juin 1887. Il a alors quinze ans. A l'intérieur, trente questions et les réponses, plus ou moins précises, plus ou moins développées du jeune lycéen. Quelle est la couleur que vous préférez ? Celle des yeux de la personne que j'aime. Quelle est votre occupation préférée ? Aimer. Quel vice détestez-vous le plus ? L'étroitesse d'esprit. Quel délassement vous est le plus agréable ? Lire. Quel sort vous paraît le plus à plaindre? Etre imbécile.Jean-Yves Tadié qui a consacré sept livres à l'écrivain sait lire entre les lignes. Il nous explique que ce questionnaire est important parce que c'est le plus ancien qui nous soit parvenu et le seul qui soit daté de la main du répondant. Au moment où il le remplit, Marcel Proust est amoureux pour la première fois. Elle s'appelle Marie de Benardaky. Il l'a rencontrée en juillet 1886. Il redouble alors sa seconde au lycée Condorcet, à Paris. Lui et ses amis ont l'habitude de se retrouver dans les jardins des Champs-Elysées. Marie est la fille d'un ancien maître de cérémonie du tsar exilé en France. D'où sa réponse à la question "Quel peuple étranger vous est le plus sympathique ? Pour le moment le peuple russe, non pas je vous assure parce que c'est l'allié de la France". Marcel Proust n'osera jamais déclarer sa flamme à la jeune fille mais il la fera renaître dans ses livres notamment sous les traits de Gilberte Swann dans "A la recherche du temps perdu".
"Amour et Doute"
Pour Jean-Yves Tadié, on peut déjà déceler dans ce questionnaire "l'extraordinaire importance de l'amour pour ce jeune homme. Ce sera le fond de tous ses romans et le grand thème de son oeuvre". A la question "Quelle devise prendriez-vous si vous deviez en avoir une?", il répond: Amour et Doute. Marcel Proust insiste aussi beaucoup sur l'intelligence et la connaissance.Le "petit Marcel" ne fait pas de fautes d'orthographes et son écriture déborde déjà dans les marges. Certains mots font aujourd'hui sourire. Comme lorsqu'il répond "Je vous le dirais bien mais je n'aime pas faire de phrases" à la question "Quel est selon vous l'idéal du bonheur terrestre ?".
Ce petit trésor sera mis en vente au Salon des livres rares et objets d'art qui se tiendra au Grand Palais, à Paris, du 13 au 15 avril 2018. Valeur: 250 000 euros. Le prix d'une très jolie Madeleine.
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