"Le Testament de Charles" : Christian Eboulé interprète dans son premier roman les ultimes convictions du capitaine N'Tchoréré tué par les nazis

Que s'imagine un officier noir à quelques heures de son exécution par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu'il a toujours vécu sous le joug colonial tout en défendant fermement la France ?
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
L'écrivain Christian Eboulé signe "Le Testament de Charles" (Les Lettres mouchetées). (CE)

Au seuil de la mort, le capitaine Charles Ntchongwè passe en revue son existence. Et une question le taraude : a-t-il eu raison de sacrifier une partie de lui-même, en l’occurrence son africanité, pour se faire accepter par la mère patrie, la France colonisatrice ? À Airaines, petite ville "lovée dans une vallée baignée par l’affluent de la Somme" où il a été fait prisonnier par la Wehrmacht, ses hommes et lui-même se feront exécuter après avoir défendu la localité jusqu’au bout de leurs forces. Une fin héroïque pour le militaire dont la bravoure est encore saluée aujourd'hui.

À la biographie, le journaliste camerounais Christian Eboulé a préféré le roman pour ses premiers pas d'écrivain. Dans Le Testament de Charles, publié aux éditions Les Lettres mouchetées, le romancier revient sur le destin exceptionnel de Charles N'Tchoréré (qui prend le nom de Charles Ntchongwè dans le roman), officier né Gabonais et naturalisé Français grâce à ses impressionnants états de service.

En juin 1940, quand les nazis l’assassinent, Charles est un homme libéré aussi bien des angoisses de la mort que de ces questions existentielles. Elles se rappellent pourtant encore à lui à travers le racisme des soldats allemands. D'autant que l’acharnement au combat des supplétifs africains de l’armée française les impressionnait.

Des êtres semblables

De l'internat de l'école Montfort, tenu par les pères spiritains au Gabon, à la 7e Compagnie du 53e régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais qu’il dirige en France, le soldat s'est mis au service d’une vocation insufflée par les affirmations gratuites du père Jean. Ce prêtre qui lui reprochait son initiation traditionnelle à 12 ans et considérait les siens comme des "âmes inférieures". Il estimait que "Noirs et Blancs ne seront jamais des égaux". Réponse du berger à la bergère : "Je pris la résolution que ma vie durant, je prouverai que Blancs et Noirs étaient semblables. Cette conviction était née et s'était renforcée grâce à l'instruction et l'expérience professionnelle acquise au Cameroun", confie-t-il dans ce récit à la première personne où la mémoire du héros navigue sur trois décennies.

"Le voile opaque qui embrumait ma conscience s'est enfin dissipé. Et à cet instant précis, j'observe avec une attention toute particulière la mer d'aliénation dans laquelle je baignais". Une noyade dont son grand-père Okili, gardien malgré lui d'un trésor culturel ancestral, a pourtant tenté de le préserver. Charles aura presque tout sacrifié sur l’autel de ses ambitions pour lui et les siens, tel un Rastignac anobli par son désir de se mettre au service de sa communauté. Car si Charles fait le choix de l’assimilation (adopter la culture du colonisateur), c’est qu’il espère que le progrès se transmettra par capillarité à son Gabon natal. 

Mission accomplie

Le capitaine réussira la mission qu'il s'est attribuée après avoir intégré l'administration française et fait ses premiers pas dans l'armée à la faveur de la Grande Guerre qui éclate alors qu’il a 18 ans. Charles monte les échelons militaires parce qu'il aime cet univers mais aussi parce qu'il veut obtenir ce fameux sésame qu'est la nationalité française. Il atteindra son objectif au-delà de ses attentes. La postérité lui ouvrira ses portes.

Le Testament de Charles est à la fois un voyage temporel – des allers-retours entre le passé et le présent – mais aussi une exploration de l’empire colonial français, du Gabon au Soudan français. La plume de Christian Eboulé se fait concise quand elle plonge dans la psyché de cet homme qui ne craint plus de mourir comme s'il l'était déjà un peu. Avec sa première œuvre littéraire, le journaliste de la chaîne francophone TV5, s’inscrit dans une longue tradition de romanciers africains qui réinterprètent L’Aventure ambiguë du Sénégalais Cheikh Amidou Kane. Son héros dénonçait la colonisation et l’occidentalisation des Africains qui se déconnectaient ainsi de leur être profond façonné par la culture de ses origines. Eboulé propose un nouvel angle d’attaque : celui d'un officier qui a juré de servir sa patrie à tout prix.

"Le Testament de Charles" de Christian Eboulé, Editions Lettres mouchetées, paru le 14 septembre 2024, 205 page, 16 euros

 

Couverture du livre "Le Testament de Charles" (LES LETTRES MOUCHETEES)

Extrait : "Mon ignorance et mon ensommeillement ne m'ont pas permis de répondre à ce cher et sage Okili. Nous n'avons pas suivi le même itinéraire. Il tient sa connaissance des rites anciens et des sagesses indéniables de nos contrées. Je m'en suis détourné pour me donner tout entier à la République venue de loin, et qui prétend nous sortir de la barbarie, nous dépoussiérer, nous assimiler et nous jeter, enfin présentables, dans l'adoration éternelle de nos ancêtres gaulois. J'ai dédaigné la voie tracée par Okili, par orgueil, persuadé qu'il était un vestige des générations vieillies, au point de jeter aux orties le pacte de mon enfance, scellé sur les bancs de Montfort, à Libreville, et entièrement dédié à l'émancipation des populations gabonaises".

 

 

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