"Les derniers jours du Parti Socialiste" d'Aurélien Bellanger : livre d'histoire contemporaine ou buzz inutile de la rentrée littéraire ?
Alors que la France vient tout juste de se doter d'un nouveau premier ministre après des semaines de suspens estival, un écrivain, Aurélien Bellanger, a livré son cours d'histoire politique sous la forme d'un roman à clé. Les derniers jours du Parti socialiste est paru le 19 août aux Editions du Seuil.
Le quatrième de couverture déclare haut et fort : "Aurélien Bellanger construit de livre en livre une Comedie humaine des temps modernes". Son ouvrage est-il le mémoire d’un étudiant laborieux de Science-Po ou un génial décryptage de la période politique agitée de la nation, digne de Balzac ? Tentative d'éclaircissement de cet étrange objet littéraire en sept points : du jeu des devinettes littéraires au cynisme de l'auteur.
1 Qui est l'auteur, Aurélien Bellanger ?
Nous pourrions avoir la même méthode que l'auteur, c’est-à-dire "romancer" sa bio pour en faire un héros des lettres francaises. Plus simplement, Aurélien Bellanger est philosophe de formation, chroniqueur sur France Culture, et écrivain ayant à son compteur sept romans. Sociologue romancier, il défriche la société française et ses terrains d'exploration littéraire sont le monde de l'information, la publicité, l'urbanisme et la politique. Depuis le début de sa carrière, il est parfois qualifié de Houellebecq de gauche, label que les Inrocks lui collent dès la parution de son premier roman, La théorie de l'information en 2012, consacré à Xavier Niel. Lui, humblement, aimerait rester dans l'histoire comme le Balzac des années smartphone, 2.0 et intelligence artificielle.
Son style : à la lecture du roman Les derniers jours du Parti socialiste, il oscille entre un lyrisme dans les descriptions des périphéries urbaines ou des campagnes normandes et ce que certains critiques appellent "le style Wikipedia", terne et froid.
2 Que raconte ce roman ?
C'est donc un roman à clé, un long récit des 25 dernières années de la gauche, de la rue de Solférino, siège du PS aux cénacles discrets des think tanks, avec un zeste de secret franc-maçon dedans. Il y a un peu de "popol" (terme qualifiant les petites stratégies du monde politique) : "Ainsi c'est bien à Hollande et à son machiavélisme bonhomme et corrézien que Grémond avait décidé de donner sa fidélité d'apparatchik." Il y a des détours par les salles de rédactions : "Ainsi protégé, Charlie Hebdo était-il encore un journal satirique ?". Et de la philosophie médiatique, puisque deux des personnages sont des philosophes à la mode. "On s'arrachait le nouveau philosophe à la mode. Il s'y préparait comme s'il eut été Napoleon à la veille d'une bataille."
De ce cocktail proche des pages société des hebdomadaires du jeudi, le lecteur parfois songe aux divers éditos aussitôt lus aussitôt oubliés. Puis par un tour de passe-passe tortueux ressort la thèse assassine de Bellanger : la gauche républicaine et laïque a fait le lit du Front National et des idées d'extrême droite.
3 Qui se cache derrière les personnages de Bellanger ?
Au jeu de "qui est qui" dans le roman, les résolutions d'énigme sont faciles tant Aurélien Bellanger ne fait aucun effort pour donner de l'épaisseur à ses personnages. Ils sont décrits et écrits tels qu'ils sont connus dans la vie publique. Par ordre d'apparition au fil des pages : voici Grémond, soit Laurent Bouvet, cofondateur du Printemps républicain, décédé en 2021 de la maladie de Charcot. C'est le personnage principal du roman et le moins connu du grand public. C'est par lui que le malheur de la gauche arrive. Lecteur de Richelieu et de Maurras, Grémond devient admirateur des pouvoirs forts et les éminences grises.
Ensuite apparaissent les deux philosophes, "celui des champs et celui des villes", soit Taillevent, philosophe de Saint Germain et du Quartier latin, portrait de Raphaël Enthoven, en "intellectuel médiocre et don juan de la montagne Sainte-Geneviéve" et Frayère, l'hédoniste Michel Onfray venant de sa Normandie natale aux expériences sexuelles d'ado pathétiques : "Ce casanova des bocages". On croise plus loin Philippe Val, ex-rédacteur en chef de Charlie sous les traits de Revêche. "Il savait faire sourire, sourire d'intelligence, mais faire rire, c'était un don qu'il ne possédait pas".
Au bouquet final, Aurélien Bellanger lui-même sous le pseudo de Sauveterre. Un beau rôle que s'attribue l'auteur, peut être le seul. Il n'est pas nécessaire de dérouler l'ensemble du générique pour comprendre que le casting est celui du microcosme mediatico-politico-philosophico parisien… On se croirait revenu à l'agaçant "germanopratin" des vieilles années 80 : de là à bâtir une comédie humaine il faut voir…
Et l'auteur d'avouer sa méthode dans les pages du journal Le Monde : "Pour mon livre sur Xavier Niel [La Théorie de l’information, Gallimard, 2012], tous les détails biographiques reposaient sur six articles de Libération, sa page Wikipédia et une interview donnée aux Echos". Nous ignorons si les sources furent plus diverses pour Les deniers jours du Parti socialiste, mais la lecture appliquée pourrait faire penser que non, tellement peu de surprises jaillissent au fil des pages. Sauf ce qui serait inventé. Et c'est là où le malaise apparaît.
4 Un cynisme dérangeant pour ces personnages
Page 63, Grémond est à Toulouse, prof dans un Science Po de province comme le souligne Bellanger. "Grémond est d’ailleurs professeur à Sciences Po, c’est ce qu’on écrit sous son visage quand on l’invite sur La Chaîne parlementaire ou, plus rarement, sur le plateau de BFM. Mais le bandeau a quelque chose d’un peu mensonger : sous "enseignant à Sciences Po", on n’a pas la place, ou c’est lui qui le demande, de préciser que c’est à Toulouse, entre Saint-Sernin et les Jacobins, et non rue Saint-Guillaume à Paris." Le portrait d'un demi-raté sous la plume de Bellanger.
Le personnage donc apprend qu'à Toulouse vient d'avoir lieu une tuerie dans une école juive. Dans la vraie vie, nous nous souvenons que le 19 mars 2012, Mohammed Merah assassinait quatre personnes dont trois enfants devant l'école Ozar-Harorah.
Dans la littérature de Bellanger, la première réaction de Grémond à cette tuerie fut : "qu’elle tombait doublement mal. D’abord parce qu'on était à un mois de la présidentielle de 2012, ensuite parce qu'elle s'était produite un lundi, et que c'était le mardi soir qu'il dormait à Toulouse". Donc sous la plume de l'auteur, Laurent Bouvet devient ce cynisme calculateur devant un assassinat d'enfants. Ceux qui ont connu le créateur du Printemps républicain sont choqués à cette lecture. Le cynisme calculateur est l'apanage des personnages de Bellanger, il est sûrement celui de nombreux politiques, mais si Raphäel Enthoven, Michel Onfray, Caroline Fourest, Philippe Val ou Emmanuel Macron peuvent prendre la plume ou en appeler à la justice, Laurent Bouvet décédé ne pourra jamais régler son compte à Bellanger.
5 Le fond du propos : cette gauche qui ferait le lit du fascisme
Comme le texte comprend quand même 470 pages et qu’Aurélien Bellanger s'escrime à démontrer sa thèse, il faut donc revenir au propos et au cœur de l'ouvrage. C'est l'histoire de militants, intellectuels, politiques, et un premier ministre de gauche, qui appellent à un retour de l'autorité par une laïcité "radicale". Ces efforts politiques, l'auteur les résume sur X : "J’ai écrit un livre qui raconte comment une hérésie du Parti socialiste, le Printemps républicain, entouré d’un groupuscule d’intellectuels médiocres, aura rendu possible la victoire de l’extrême droite en France".
Dit rapidement, Bellanger accuse cette gauche selon lui cabrée sur la laïcité à la française, de propulser le pays vers le fascisme. Un brin rapide comme analyse pour celui qui est passé de supporter de Nicolas Sarkozy à compagnon de route de Jean-Luc Melenchon. Mais politique et littérature sont des mots qui vont rarement bien ensemble.
6 La réplique du Printemps républicain
A cette charge contre le Printemps républicain, imaginé par Bellanger comme le berceau des idées d'extrême droite, Gilles Clavreul, cofondateur du mouvement avec Laurent Bouvet, répond pour Franceinfo culture : "C'est passablement grotesque de prêter à une poignée de personnes la faculté de littéralement prendre les commandes de l'Etat pour amener le pays à basculer vers l'extrême droite". Et s'il reconnaît le droit à la fiction politique, le roman se voulant réaliste il rajoute : "Il n’y a pas tellement d'invention, il y a beaucoup d'erreurs, il y a beaucoup de contresens factuels historiques qui font que la trame narrative ne tient pas tellement la route"
Mais c'est sur le cynisme et la volonté d'abattre ses personnages que Gilles Clavreul se montre le plus sévère à la lecture du roman : "le portrait de Laurent Bouvet est glauque mais la manière dont il portraiture ceux de Charlie, Philippe Val ou Richard Malka qui se réjouissent quand même le soir du 7 janvier de la mort et de l'assassinat de leurs copains, c'est complètement fou et complètement abject", dit-il.
7Un accueil fait de bons mots dans la presse
Si Aurélien Bellanger ne manque pas d'humour, si parfois son verbe touche juste sur ses descriptions des tactiques et stratégies du marigot de la politique et si, comme dans Le Grand Paris, ses descriptions de zones grises de la banlieue sont de bonnes pages, c'est encore dans la revue de presse des critiques que le lecteur trouverait son plaisir.
Dans l'hebdomadaire Le Point : Gilles Clavreu, cofondateur du Printemps républicain déclare : "On dirait un Houellebecq à la camomille, sans humour, sans autodérision, sans cette tendresse qui surgit de façon un peu miraculeuse, surtout, chez l'auteur de Plateforme et des Particules élémentaires"
Marianne titre : "Aurélien Bellanger, Les derniers jours du Parti socialiste ou la névrose du gauchiste" et poursuit : "Les inepties qu’il débite en t-shirt ? Tous les laïques sont des cryptoracistes qui font le jeu du RN, en gros. Simple, efficace. Même à France Inter, on lui dit qu’il va un peu loin."
Le plus narquois ou matois sera Fréderic Beigbeder qui s'y connaît en bon mot pour dézinguer un confrère : "Il est vrai que Bellanger possède le style d’un Que sais-je? sur la social-démocratie française. Pourtant il parvient à en faire une épopée ! L’auteur de L’Aménagement du territoire (Prix de Flore en 2014) a le génie de tenir 500 pages sur un sujet d’édito de Laurent Joffrin."
Avec Les derniers jours du Parti socialiste, Aurélien Bellanger voulait décrypter la scène politique française et une gauche en perdition, avec ses arrangements et volte-face. L'actualité des dernières semaines avec les élections, la dissolution et l'interminable nomination d'un premier ministre aura eu plus de talent que l'auteur : pour une fois encore, en politique, la réalité fait mieux que la fiction.
Extrait :
"C’est ainsi que Grémond se retrouve à la tête de la commission laïcité du parti — une commission où il restera dix ans et qui sera, sous sa direction, la plus redoutée du PS, car elle a le pouvoir d’empêcher quiconque s’oppose à son président, ou à son orthodoxie républicaine, d’être investi. Le poids qu’il a pris, de déjeuner en déjeuner, traduit son importance nouvelle — même s’il feint de l’attribuer exclusivement, surjouant le vieux radsoc, au cassoulet toulousain. Il parle d’ailleurs de Toulouse comme un député parlerait de sa circonscription. Son poste d’enseignant dans cette ville, qu’il a d’abord accepté à regret, commence à lui apporter d’intéressants bénéfices. Si politique que soit sa commission, sa présence au plus près du terrain paraît garantir son impartialité. C’est lui, désormais, qui informe directement Le Canard enchaîné — ou Charlie Hebdo, si l’affaire est assez grave pour mériter une grande caricature — quand il a un compte personnel à régler. Et il va se faire, à ce poste stratégique qui consiste à distribuer ou à reprendre des brevets de citoyenneté, un nombre considérable d’ennemis et d’amis, dans les bonnes proportions."
"Les derniers jours du parti socialiste" d'Aurélien Bellanger aux Editions du Seuil. 470 pages. 23 Euros
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