Maryse Wolinski raconte son 7 janvier et règle ses comptes dans "La vie sans Georges"
"Quarante-sept années de vie commune fracassées. J'oscille entre insomnies et cauchemars, sidération et déni, enfermement et colère, obsédée par cette question: comment une scène de guerre a-t-elle pu se produire, en France, dans les locaux d'un journal satirique?", écrit Maryse Wolinski qui affirme avoir trempé la plume de son récit, à paraître le 7 janvier au Seuil, dans "la force du chagrin". Journaliste et écrivain, Maryse Wolinski sait prendre la distance nécessaire pour raconter l'attaque des frères Kouachi le matin du 7 janvier contre Charlie Hebdo. Elle a interrogé les témoins et décrit rigoureusement l'enchaînement terrible des événements.
Puis vient le silence de la mort. Ce n'est plus la journaliste qui écrit mais l'épouse. Alors que les tueurs se déchaînent, Maryse Wolinski est, comme chaque mercredi, à son cours de gymnastique. Elle doit ensuite interviewer quelqu'un pour la pièce de théâtre qu'elle est en train d'écrire. Son téléphone portable est éteint. Quand elle le rallume, c'est une explosion de messages. "J'ai la sensation que mon corps de m'appartient plus." Elle se souvient de l'insupportable attente des familles. C'est son gendre, Arnault qui lui apprendra au téléphone la sinistre nouvelle : "Georges a été assassiné. Il est mort."
Surenchère
Maryse Wolinski raconte sobrement la sidération et la douleur. Puis arrive le temps des questions. Juste avant les attentats, les caisses du journal sont vides. Georges Wolinski est las et nostalgique de "l'ambiance rigolarde et fraternelle" du Charlie Hebdo d'antan, celui de Reiser, Gébé, Cavanna et Choron, raconte-t-elle. "Au nom de la liberté d'expression et de la défense de la laïcité, (les responsables de l'hebdomadaire) n'hésitaient pas à faire dans la surenchère", regrette Maryse Wolinski. Pour la direction de Charlie, "l'actualité consistait notamment à malmener le prophète Mahomet et ses adeptes jugés fanatiques, obscurantistes et dangereux", accuse-t-elle. Faisant état de différends avec Charb, le rédacteur en chef de Charlie, également victime des tueurs jihadistes,Georges Wolinski "se posait des questions sur son avenir professionnel", dit-elle. "Il souhaitait avoir plus de temps pour peindre et écrire, tout en continuant le dessin de presse." Avant l'attentat, Charlie Hebdo était un journal qui "n'avait sans doute plus d'avenir", soutient Maryse Wolinski qui s'étonne qu'après la tuerie (12 morts), Charlie s'offre "une directrice de la communication, star des stars de la +com+, celle qui avait sorti Dominique Strauss-Kahn du mauvais pas que l'on sait".
Failles dans la sécurité
L'épouse de Georges Wolinski estime également que "malgré les menaces", Charlie n'était pas assez protégé. "Qui avait donc pris la décision d'alléger le dispositif de protection, et pourquoi ?" Elle met notamment en cause le syndicat policier Alliance qui, dès avril 2013, a "fait pression sur le gouvernement pour alléger la surveillance de Charlie Hebdo". Les dispositifs de surveillance statique sont "inefficaces et démotivants", se défend le secrétaire général d'Alliance, Jean-Claude Delage, interrogé par l'AFP, qui prône une surveillance "des lieux sensibles par des patrouilles".Maryse Wolinski se demande aussi pourquoi l'équipe avait choisi de s'installer dans un immeuble non sécurisé. C'était une décision "imprudente". "Il y a eu des failles dans la sécurité de Charlie Hebdo et elles sont nombreuses", déplore-t-elle. "Les autorités policières et les responsables du journal refusaient l'idée que nous étions déjà en guerre." Maryse Wolinski se demande encore si les services de la DGSI (sécurité intérieure) ne se seraient pas "laissés berner par les ruses" des jihadistes qui, revenus en France, font tout pour passer inaperçus. Elle pose une question qui résonne dramatiquement après les attentats du 13 novembre : "Combien y a-t-il d'agents dormants dans notre pays ?"
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.