Michel Pastoureau consacre un ouvrage au rouge, "la couleur par excellence"
Quand Michel Pastoureau, 69 ans, historien, spécialiste des couleurs, des emblèmes et du bestiaire, commence à parler des couleurs, il est intarissable. "Rouge, histoire d'une couleur" (Seuil), un magnifique ouvrage, vient compléter sa série consacrée aux couleurs : "Bleu" (2000), "Noir" (2008) et "Vert" (2013), en attendant un nouveau livre sur le jaune.
Si le rouge est "la couleur par excellence" pourquoi ne pas en avoir parlé plus tôt ? "Je n'ai pas commencé par le rouge car il y a trop à dire", répond en souriant le directeur d'études à l'EPHE (École pratique des hautes études) au cours d'un entretien avec l'AFP chez lui à Paris.
"Rouge, fait-il remarquer, n'est pas seulement une couleur." Dans les langues slaves, notamment le russe, "rouge et beau sont un même et seul mot". "La place Rouge à Moscou existait déjà au temps des tsars. C'est la belle place."
Le rouge, une couleur toujours ambivalente
Avec "Rouge", le médiéviste nous entraîne dans une odyssée culturelle de cette couleur. "Le rouge est un océan", dit joliment Michel Pastoureau.Le rouge, déjà présent au Paléolithique, symbolise "le pouvoir, la gloire, la puissance, la fête, la solennité, la joie, la beauté et l'amour", mais aussi "la violence, la colère, les crimes de sang, la faute, le péché. C'est tout cela à la fois". L'ambivalence est constante. A son apogée, au Moyen Age, le rouge représente tout à la fois le symbole du sang sacré du Christ et les flammes de l'enfer.
Dans l'Antiquité, la pourpre romaine symbolise l'empereur. Durant le Grand Siècle (XVIIe), les "talons rouges" sont emblématiques du statut d'aristocrate.
Martin Luther, fossoyeur des couleurs au XVIe siècle
Comme ses livres précédents, "Rouge" suit un plan chronologique. Du VIe au XIVe siècle, le rouge a été la couleur préférée de l'Occident avant d'être mis en cause notamment avec la Réforme. Au XVIe siècle Martin Luther, réformateur "chromophobe" (ennemi des couleurs, ndlr), toujours vêtu de noir, dénonce les couleurs vives qui "habillent les hommes comme des paons".A partir du XVIIIe siècle, le rouge devient le symbole de la contestation, notamment après la journée révolutionnaire du 17 juillet 1791 où il est "l'emblème du peuple révolté". Il tiendra ce rôle lors de toutes les insurrections populaires jusqu'à être "confisqué" par l'idéologie communiste. Aujourd'hui, la place du rouge est devenue discrète. "Désormais, le bleu est de loin la couleur préférée dans nos sociétés occidentales."
A la fin des années 1960, s'intéresser aux couleurs (et aux animaux) "n'était pas considéré comme sérieux. C'était vu comme de la 'petite' histoire, du frivole", note l'universitaire, dont l'oeuvre a été traduite dans une trentaine de langues.
Les couleurs, une passion qui vient des ateliers d'artistes de l'enfance
Gamin de la butte Montmartre où sa mère tenait une pharmacie, Michel Pastoureau explique que ce goût pour les couleurs vient de sa petite enfance. "Je viens d'une famille où il y avait des artistes peintres, mes trois grands-oncles, et mon père lui-même avait beaucoup d'amis artistes peintres", se souvient-il. "Petit garçon, j'ai fréquenté des ateliers d'artistes et ce sont des terrains de jeux magnifiques", dit-il.Ces artistes "ne gagnaient pas très bien leur vie avec leur peinture", précise-t-il dans un sourire "mais ça ne fait rien. Il y avait des tubes de couleurs, de quoi faire toutes sortes de cochonneries... et du plus loin que je me souvienne j'aimais ça, la couleur".
L'autre passion de Michel Pastoureau, ce sont les animaux. "En Normandie, la maison de campagne de mes parents était entourée de fermes. J'étais littéralement fasciné par les animaux." Il a écrit une formidable histoire de l'ours ("c'est mon livre que je préfère", avoue-t-il) et un autre livre sur le cochon. "Je me suis toujours intéressé aux grands réprouvés", s'amuse-t-il. Il travaille actuellement sur le corbeau, "le plus intelligent des oiseaux et probablement de tous les animaux".
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