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Goncourt 2022 : quatorze tours pour mettre d'accord un jury divisé

Pour décerner le prestigieux prix Goncourt 2022, le jury est allé au terme des quatorze tours réglementaires pour attribuer la prestigieuse récompense au roman "Vivre Vite". 

Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Les jurés de l'académie du Goncourt dans la salle du restaurant Drouant à Paris, le 3 novembre après avoir décerné le prix 2022 à Brigitte Giraud pour son roman "Vivre vite" (Laurence Houot)

Alors que la remise du prix Goncourt se déroulait ce jeudi 3 novembre au restaurant Drouant de Paris, l'ambiance n'était pas à la fête dans les coulisses. Quatorze tours ont été nécessaires pour élire au final le roman de Brigitte Giraud, Vivre Vite

Au-delà des divergences littéraires, l'académie du Goncourt semble confrontée à un blocage entre deux camps impossibles à réconcilier, pour des raisons qui semblent en partie politiques. 

La voix du président pour départager 

Le déroulement du scrutin est simple à résumer. Au premier tour, la future lauréate a obtenu cinq voix, avec Vivre vite, et son rival italo-suisse Giuliano da Empoli cinq également, avec Le Mage du Kremlin. Et ce vote s'est répété indéfiniment, sans qu'aucun juré ne veuille bouger.

Dans ce cas, les statuts de l'Académie Goncourt donnent au bout du compte une voix prépondérante au président, en l'occurrence Didier Decoin, qui défendait l'autrice de 62 ans. Celui-ci a rappelé qu'il avait obtenu le Goncourt 1977 de cette manière, grâce au président du jury Hervé Bazin.

C'est arrivé d'autres fois. En 1968 par exemple, Louis Aragon avait ensuite démissionné du jury parce qu'il avait le sentiment que certains s'étaient ligués pour faire échouer son poulain, François Nourissier. La dernière lauréate en date à avoir bénéficié de la voix qui compte double du président, à savoir François Nourissier justement, était Pascale Roze en 1996. Depuis, l'Académie Goncourt évitait ce genre d'élection.

J'ai connu des présidents, à l'Académie Goncourt, qui ont toujours dit: attention, ne partons pas vers un 14e tour, car je ne veux pas avoir à user de ma deuxième voix

Pierre Assouline

juré depuis 2012

S'il y a eu avertissement, il a été vain. "Chacun a dit: moi je ne bougerai pas. Et c'est moins glorieux, je trouve, de l'emporter avec la voix du président", ajoutait-il. Didier Decoin a confirmé. "J'ai posé la question: est-ce que quelqu'un a l'impression qu'il pourrait changer d'avis? Réponse: non, eh bien on continue".

La controverse du voyage au Liban

Derrière ce débat entre deux romans, il y en avait un autre, né au moment de l'annonce des finalistes depuis Beyrouth fin octobre. La moitié du jury tenait à s'y rendre, pour marquer sa solidarité avec une grande ville francophone durement marquée par l'explosion en août 2020 d'un silo rempli de nitrate d'ammonium. L'autre moitié estimait qu'il aurait été judicieux d'annuler après les propos du ministre libanais de la Culture, Mohammad Mourtada, annonçant qu'il "ne permettrai[t] pas à des sionistes de venir parmi nous et de répandre le venin du sionisme au Liban". Ce ministre est proche du mouvement chiite Amal, un allié du puissant groupe pro-iranien Hezbollah. Ce débat a laissé des traces.

Tahar Ben Jelloun avait déclaré en octobre: "Je ne me sentirais pas en sécurité dans ce pays où on assassine assez facilement". Contrairement aux usages, il a révélé jeudi dans les couloirs du restaurant Drouant avoir voté pour Giuliano da Empoli, et lancé: "En principe on est tous solidaires" derrière le lauréat. "Cette année, moi j'ai tellement de colère que non". "Je regrette qu'on n'ait pas couronné un grand livre", ajoutait-il. Et le Franco-Marocain de relever que la lauréate a vendu 6.000 à 7.000 exemplaires depuis août, contre environ 100.000 pour Le Mage du Kremlin depuis avril.

Pierre Assouline, qui a aussi laissé comprendre qu'il avait voté pour l'Italo-suisse, insistait: il ne regrettait pas, comme Pascal Bruckner et Eric-Emmanuel Schmitt, d'avoir décliné le voyage au Liban. "Au contraire. Surtout quand je vois la réaction de la majorité de mes confrères journalistes, qui ont trouvé assez honteux d'être allés là-bas, de ne pas avoir été solidaires de ceux qui étaient menacés, moralement, pas seulement des menaces physiques", déclarait-il.

Le secrétaire de l'Académie Goncourt, Philippe Claudel, était de ce voyage, et partisan de Brigitte Giraud. Il a éludé la controverse. Ces 14 tours de scrutin, selon lui, "ça prouve simplement que les deux derniers étaient tous les deux passionnants".

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