Interview "Je pense constamment à Boualem Sansal" : Philippe Claudel, président de l'Académie Goncourt, bouleversé par l'arrestation de l'écrivain en Algérie

Philippe Claudel fait partie des nombreuses personnalités qui appellent à la libération de Boualem Sansal, écrivain connu pour ses prises de position critiques vis-à-vis du régime algérien.
Article rédigé par Marie Berrurier, Valérie Gaget
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Philippe Claudel, président de l'Académie Goncourt, à Bucarest, en Roumanie, le 22 octobre 2024. (DANIEL MIHAILESCU / AFP)

Nommé président de l'Académie Goncourt le 13 mai 2024, l'écrivain et réalisateur Philippe Claudel a accordé au service Culture de France Télévisions un entretien, mercredi 27 novembre, dans un café parisien. Il nous fait part de sa très vive inquiétude concernant l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal. L'auteur, âgé de 75 ans a été arrêté samedi 16 novembre, à son arrivée en Algérie en provenance de France, et placé sous mandat de dépôt pour "atteinte à la sûreté de l'État".

Franceinfo Culture : Avez-vous des nouvelles de Boualem Sansal ?
Philippe Claudel
: Malheureusement, pas plus que celles que tout le monde a. On a su hier qu'il avait été inculpé. C'est la première fois que l'on a des nouvelles officielles de la part de la justice algérienne. Je sais qu'évidemment le Quai d'Orsay et la présidence de la République font tout pour avoir des informations plus précises et pour faire en sorte que Boualem Sansal revienne en France.

Quel sentiment éprouvez-vous par rapport à ce qui lui arrive ?
Un sentiment de stupéfaction. Nous n'avons pas tout à fait le même âge, mais on a débuté en même temps en publication, en 1999. On se connaît depuis ce temps-là. Je n'imaginais absolument pas qu'un jour, j'aurais un de mes collègues en proie à une justice aveugle, et en tout cas, irrationnelle, sur un prétexte qui me paraît extrêmement mince. J'ai aussi un sentiment de grande inquiétude puisque vous avez un gouvernement, un État, qui retient, sans donner d'informations, un citoyen. C'est extrêmement inquiétant et cela se passe près de chez nous. Nous sommes deux pays frères, deux pays amis, deux pays liés par une histoire difficile, mais nous nous connaissons, nous nous respectons. Nous avons cette douleur issue de la guerre de décolonisation, mais je crois que nous avons beaucoup d'estime mutuelle.

Vous semblez bouleversé...
Oui. Depuis que j'ai appris qu'il avait été arrêté, moi qui suis quelqu'un de plutôt solide, je suis vraiment perturbé dans ma vie quotidienne. C'est vrai que je pense constamment à Boualem Sansal et que je n'arrive pas à réaliser les choses.

Est-ce une forme de prise d'otage ?
Je crois que Boualem Sansal est victime d'une situation qui se tend de plus en plus entre la France et l'Algérie. J'ajoute, et je le sais en tant que président de l'Académie Goncourt, que l'attribution du Goncourt 2024 à Kamel Daoud pour son roman Houris a fortement déplu au pouvoir algérien et je me demande si, dans une certaine mesure, Boualem n'est pas aussi une victime collatérale de cela. Il est la victime d'une ambiance globale et c'est aussi cela qui est insupportable. Il ne faudrait pas qu'un individu, quel qu'il soit, soit la victime d'enjeux qui le dépassent.

Le fait qu'il soit âgé est-il encore plus choquant ?
Effectivement, Boualem Sansal n'est plus tout jeune. Se retrouver arrêté dès son arrivée dans son pays d'origine, mis au secret sans l'assistance d'aucun avocat, sans avoir de ses nouvelles, sans qu'il puisse en donner à sa famille et aujourd'hui sous le chef d'une inculpation qui nous paraît quand même absolument farfelue, tout cela est très inquiétant et on a hâte de savoir comment il va, quel est son moral. Et surtout, j'espère qu'il sait qu'on pense à lui. Il y a un mouvement international d'intellectuels, de politiques, d'écrivains, de citoyens et de citoyennes qui se soucient de son sort.

Qu'est-ce qui peut être fait concrètement ? L'académicien Jean-Christophe Rufin a suggéré de le nommer à l'Académie française...
C'est vrai que symboliquement, c'est fort, mais il ne faudrait pas que de telles décisions jouent contre lui. On est sur un terrain miné, inflammable, on le sent bien. Il faut donc être prudent avec toutes les initiatives de façon à ne pas froisser davantage un gouvernement algérien qui semble extrêmement tendu et faire confiance à la parole, à la discussion, à l'humanisme, à l'intelligence pour trouver rapidement une solution.

Est-ce que Boualem Sansal risque gros ?
Oui, si l'on s'en tient à la législation algérienne, les peines encourues sont énormes. Jusqu'à la peine de mort, même si l'on sait que depuis 1993, elle n'a jamais été appliquée, fort heureusement. On parle aussi de perpétuité et, a minima, de cinq ans de prison, ce qui est considérable et sous un chef d'inculpation assez curieux, une sorte de remise en cause de l'intégrité nationale. Cela paraît ubuesque.

Qu'allez-vous faire pour tenter de le sortir de là ?
Il y a un mouvement général à la fois intellectuel, littéraire, politique (...) mais que pouvons-nous faire sinon exprimer de bonnes intentions et ce désir humaniste, le droit à la parole, le droit à l'opinion, quelle qu'elle soit, le droit à l'inspection d'une histoire, fut-elle douloureuse, un droit sacré de nos démocraties ? Si un État ne le reconnaît pas, il se met en dehors du champ démocratique. Donc, on se mobilise, mais on fait confiance aussi à notre État de droit pour qu'il soit libéré le plus rapidement possible.

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