Jean-Baptiste Andrea, prix Goncourt 2023, très ému chez Drouant
Sur le bord du trottoir, devant les arbustes de buis et de fusains qui offrent au restaurant Drouant toute son intimité, l’écrivain Pierre Assouline balaye des yeux les environs et semble presque sur le départ. Un peu d’air avant le verdict ? Pas vraiment. Celui qui s’apprête à prendre part pour la douzième fois au vote qui mènera à l’attribution du prix Goncourt s’inquiète pour son chauffeur. "On ne trouve jamais de quoi se garer ici", souffle-t-il. Il faut dire qu’ici les stationnements sont chers. Les rues qui entourent la place Gaillon sont, depuis le début de la matinée, plus que prises d’assaut par des camionnettes flanquées du logo de différents médias et surmontées d’antennes paraboliques. Le strict minimum pour retransmettre en direct l’événement qui va se jouer.
Une fois passé la porte, difficile de se croire dans un restaurant. Les quelques tables laissées dans la grande salle du rez-de-chaussée ne s’encombrent pas de nappe et font désormais office de pupitre à quelques journalistes scrupuleux. Le résultat ne sera pas proclamé avant une bonne heure, mais déjà les caméras, hissées sur de hauts trépieds, sont braquées vers l’escalier où – conformément à la tradition – l’annonce tant attendue aura lieu.
Reinhardt ? Andrea ? Une victoire surprise ? Dans ce salon changé en salle d’attente, les débats et les paris vont bon train. Certains noms circulent plus que d’autres, chacun aussi à son chouchou. "Jean-Baptiste Andrea ne peut pas gagner, on n’a pas le droit de décerner le Goncourt à quelqu’un de plus jeune que moi", raille un journaliste. "C’est vrai qu’il y a cette logique de l’attribuer à un auteur expérimenté, les plus jeunes ont tout leur temps", lui répond une consœur. Elle ajoute "Reinhardt, c’est son année, c’est certain, tout le monde le dit". À moindre volume, Neige Sinno, qui a remporté ce lundi le prix Femina, reste aussi dans la conversation. Mais personne n’y croit. "Ce serait vraiment un coup d’éclat, on n’en gagne jamais deux", atteste un rubricard.
"Ça y est !"
Sur le coup de 12h30, l’espace se resserre. Les photographes, bien décidés à être au plus proche des escaliers, jouent sacrément des coudes. En haut des marches, un autre photographe immortalise la masse de journalistes qui se densifie d’instant en instant. "Il n’y a qu’en France qu’on voit des trucs comme ça", déclare une personne dont le visage – parce qu’elle est dans notre dos – restera inconnu." Et encore, il y a beaucoup moins de monde, avant, la rue était carrément bouclée", lui répond-on un peu plus à l’arrière.
D’un coup, un photographe dévale les marches. "Ça y est !", entend-on. L’alerte est lancée, silence de mise. Il est 12h45, pas une seconde de retard sur nos prévisions. Camille Laurens, membre de l’Académie Goncourt et Jean-Noël Pancrazi, membre du jury du Renaudot, descendent calmement les marches de moquette noire et s’arrêtent, micro à la main, sur la plateforme centrale. En une seconde, c’est dit. Le Goncourt est décerné à Jean-Baptiste Andrea pour Veiller sur elle, le Renaudot à Ann Scott pour Les Insolents. Maintenant, tout le monde se rue dehors.
"Il faut le sortir de là"
On peut se demander comment le lauréat arrive aussi vite. Les rumeurs disent que sa maison d’édition est prévenue un peu avant l’annonce officielle. Ce qui est vrai, c'est qu’aucun des quatre finalistes n’est très loin de Drouant. Chez un ami, dans un café peut-être, voire déjà dans un taxi. Bien sûr, l'arrivée de deux trois voitures trompe la foule, mais le bon taxi se repère facilement. Là encore, c’est la grande ruée. Pas pratique même de se hisser en dehors. Mais deux jeunes femmes en sortent sautillantes, Jean-Baptiste Andrea, presque rendu invisible par les caméras et les perches, parvient à les suivre. "On vient juste de sécher nos larmes. Je ne plaisante pas, on était en larmes dans le taxi", déclare-t-il. L’émotion se sent, il le dit, il n’aurait jamais cru que cela arriverait.
Devant le restaurant, Françoise Rossinot, déléguée générale de l'Académie Goncourt, s’impatiente. "Il faut le sortir de là". On lui répond que c’est son moment, qu’il n’en a peut-être pas envie. Pour immortaliser l'instant, des journalistes sont juchés sur des poteaux, certains même sur des escabeaux. Françoise Rossinot le laisse encore un peu au milieu de la foule puis quelqu’un de l’organisation s’impose pour lui laisser le champ libre. Jean-Baptiste Andrea salue, sourit, et entre dans l’établissement. Tout le monde le suit.
"Un très bon Goncourt"
Pour faire le même trajet que le lauréat, ce n’est pas une mince affaire. Une fois la sécurité passée, il faut réussir à se rendre jusqu’à l’escalier, être dans la première vague. Bloqués dans les marches, on rencontre les deux jeunes femmes qui étaient dans le taxi avec le lauréat. Il s'agit des filles de Sophie de Sivry, son éditrice, celle qui l'a suivi sur ce roman, la première à lui avoir fait confiance. "On est tellement heureuses", s'exclament-elles. À l’étage, le salon dans lequel va se dérouler le déjeuner s’emplit à n’en plus pouvoir. Jean-Baptiste Andrea, à la fenêtre, se voit présenter, sans interruption, des micros d’ici et d’ailleurs.
Assis du côté de l’entrée, Pascal Bruckner, membre de l’Académie Goncourt, se réjouit de ce choix. "Je pense que Jean-Baptiste Andrea fera un très bon Goncourt, un très bon prix que les gens seront fiers d’acheter et de mettre au pied du sapin de Noël." Il reprend : "Il y avait de très bons livres cette année, mais aucun n’avait peut-être cette qualité de suspens, de richesse des personnages, d’atmosphère un peu romanesque, romantique aussi. Jean-Baptiste Andrea a parfaitement réussi. Je crois que les gens vont céder au plaisir de la lecture."
"L'avenir est devant"
Ce prix Goncourt, ce n'est pas seulement un grand moment pour l'auteur. C'est aussi un grand moment pour la maison qui l'accompagne, une première. S'ouvrant à la fiction il y a dix ans, L'Iconoclaste remporte avec Jean-Baptiste Andrea son premier Goncourt. Et cette première est toute particulière. Sophie de Sivry, l'éditrice qui le suit depuis 2017 avec Ma Reine, est décédée en mai dernier. "Elle avait choisi la couverture et le titre du roman", explique Laurent Beccaria, mari de Sophie de Siry et fondateur des éditions Les Arènes. "Le destin de ce livre, c’est une sorte de prolongement, l’avenir est devant la maison pas derrière", ajoute-t-il. Et sans l'ombre d'un doute, ce Goncourt lui est destiné. "On ne pense qu'à elle. Ça fait des mois qu'on ne pense qu'à elle, et elle est là avec nous aujourd'hui, même si on ne la voit pas", déclarait, tout juste sorti du taxi, Jean-Baptiste Andrea.
Autour de la table, on salue l'attribution du prix à une maison indépendante, mais aussi à un jeune auteur. "C’est une œuvre en devenir, parfois le Goncourt est donné à quelqu’un qui est déjà bien installé, là, on a l’impression qu’il est au début de quelque chose", analyse Laurent Beccaria. En parlant de début, les organisateurs s'impatientent bruyamment de celui du repas. Les journalistes sont – en toute cordialité – invités à sortir. Tout le monde descend les escaliers et regagne la sortie. Depuis l'extérieur, certains tentent encore, via la fenêtre ouverte, d'obtenir un dernier bon cliché, tentent encore, à travers l'ouverture, de veiller sur lui.
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