Première édition du prix Goncourt des détenus : on a assisté aux délibérations dans les prisons du Grand Est
Ce sont des échanges inédits en prison : "Sa préférée, [de Sarah Jollien-Fardel, Sabine Wespieser] qu'est-ce que tu en a pensé ? Et Les Méditerranéennes [d’Emmanuel Ruben, Stock] ? Et Le cœur ne cède pas [de Grégoire Bouillier, Flammarion]?", interroge Hassan. "Je voulais mettre en premier Les presque sœurs [de Cloé Korman, Seuil], en deuxième Le cœur ne cède pas et en troisième, La vie clandestine [de Monica Sabolo, Gallimard]",répond Daniel. "Le cœur ne cède pas, je voudrais le mettre en premier", regrette Hassan.
Hassan et Daniel représentent la maison d'arrêt de Nancy et ils tentent de se mettre d'accord sur un classement avant de confronter leur avis à ceux des autres maisons d'arrêt. Car les détenus ont pris l'affaire très au sérieux, dans chacune des prisons participant au choix du lauréat du premier "Prix Goncourt des détenus". Une dizaine de détenus se sont partagé la lecture des quinze ouvrages pré-sélectionnés par l’Académie Goncourt en septembre. Ils ont rendez-vous ensuite à la bibliothèque de la maison d'arrêt pour une première sélection.
Plaisir de lire et d'interagir
Et c'est ainsi qu'un peu plus tard, Mélanie défend pour la maison d'arrêt d'Épinal, Beyrouth-sur-scène, un livre de Sabyl Ghoussoub (Stock). "J'en ai appris énormément sur les religions. Je ne savais pas que ça se battait autant comme ça pour des religions. On ressent bien aussi que, Sabyl étant née en France, quand il dit ‘mon pays’, il parle bien du Liban. Il dit que le problème, c'est que quand je suis au Liban, ce n'est pas mon pays non plus. Pour eux, je ne suis pas chez moi. Moi, Française pure souche et sans famille ailleurs, j'en ai appris beaucoup sur le fait de vouloir connaître ses origines. C'est un beau livre. Il y a des moments bien drôles, des bons sentiments, des vrais sentiments", argumente-t-elle.
Les détenus ont aussi apprécié La petite menteuse de Pascale Robert-Diard (L’Iconoclaste). C'est elle qui l'emportera finalement dans l’Est, devant Les liens artificiels de Nathan Devers (Albin Michel), qui raconte la dérive d'un homme prisonnier de son avatar sur les réseaux sociaux. Un livre qui a drôlement résonné avec la vie désormais déconnectée de Mélodie. "J'étais une personne également très connectée, tous les jours sur mon téléphone", raconte-t-elle.
"Honnêtement, le téléphone ne me manque pas. Ça m'a permis de regarder des films, ce que je ne faisais plus, de lire des livres. Je ne lisais pas du tout avant".
Mélodie, détenue à Épinalà franceinfo
"On est dans une génération où quand on a le téléphone, on est H24 dessus et on ne fait plus rien. La détention, ça m'a permis d'avoir une vie sociale, de réapprendre à réécrire des lettres, de recevoir des courriers, constate Mélodie. Je suis pressée d'avoir mon courrier alors qu'avant je regardais même pas ma boîte aux lettres. On rigole avec ma copine de cellule, on discute, on parle de films, de livres, des choses que les jeunes ne font plus. On ne s'y attendait pas."
Plusieurs centaines de détenus ont participé
Au-delà de ce plaisir retrouvé de la lecture, ce sont les rencontres qui ont marqué cette première édition. Car la quasi-totalité des auteurs ont accepté d'échanger en présentiel ou à distance avec les détenus. Hassan, bientôt libéré de la maison d'arrêt de Nancy, n'oubliera pas de sitôt sa rencontre avec Grégoire Bouillier. "Certes, j'ai fait de la détention, mais je peux en retenir quelque chose. Ne plus réitérer le crime pour lequel on a pu être incarcéré et dans un deuxième temps également, j'ai lu des bouquins que je n'aurais jamais pu penser lire à l'extérieur, retient-il de l'expérience. J'ai rencontré des auteurs, on parle quand même d'une personne qui est assez réputée dans le domaine de la littérature, quelqu'un qui est reconnu et que, du coup, nous simples détenus, on a eu la possibilité de discuter, d'échanger avec ces auteurs. Et puis même, j'ai envie de vous dire, de les représenter et qui ont également accepté. Et je remercie Grégoire Bouillier qui a été honoré de nous avoir rencontrés, comme nous également, on a été honorés d'avoir eu l'occasion de rencontrer.
Au total, quelque 500 détenus de 31 établissements pénitentiaires de métropole et d’Outre-mer ont participé à cette nouvelle version du prix Goncourt. Le palmarès national doit être annoncé jeudi 15 décembre.
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