"Quais du Polar" : la femme fatale remise au goût du jour par les auteures
La veille de la conférence, "Assurance sur la mort" réalisé par Billy Wilder, était projeté à l'Institut Lumière dans le cadre du festival. L’histoire est celle de Walter, employé d’une compagnie d’assurance, qui tombe amoureux d’une de ses clientes, la séductrice Phyllis Dietrichson. Ils décident ensemble de tuer l’encombrant mari de cette dernière dans le but de toucher la prime de l’assurance-décès.
Malheureusement, Phyllis trompe Walter et lève le voile sur sa vraie nature : manipulatrice, elle met tous les hommes à ses pieds pour parvenir à ses fins. L’emprise qu’elle avait sur Walter condamne ce dernier à finir sa vie en prison.
Véritable film noir de 1944, c’est le scénariste de "La Couleur de l'Argent" et de "Mélodie pour un meurtre", Richard Price qui le présentait au public. Cette séance donnait un parfait avant-goût de la discussion qui allait se tenir le lendemain.
La femme fatale est utilisée comme personnage à part entière depuis des années. Blonde incendiaire ou brune ténébreuse, yeux perçants, mystérieuse et distante, elle attire le sexe opposé comme la sirène attire le marin dans ses filets. Mais qu'en est-il aujourd’hui ? Est-ce que les critères ont changé ? Est-ce que la femme est encore drapée dans un costume brodé de fantasmes ?
Cinq auteurs, cinq visions de la femme
La conférence "Les yeux revolver et la beauté fatale : portraits de femmes" réunissait donc Sara Gran, L.S Hilton, Philippe Jaenada, Jax Miller et Dolores Redondo qui allaient défendre leur vision de la féminité dans toute son entièreté.
Les cinq auteurs ont un point commun dans leur actualité littéraire : leur personnage principal est une femme. Flic, veuve ou meurtrière, différentes mais similaires, elles prennent ici un tout autre visage. "Les yeux revolver et la beauté fatale" : clichés d’un genre ou simples termes démodés ? Ces écrivains (français, anglais, américains et une espagnole) ont essayé de retranscrire leur vision de la féminité aujourd’hui. Ils s’accordent sur un point : une femme fatale est, avant tout, une femme.
Je pense que la "femme fatale" est objet de désir. Moi ce qui m’intéressait, c’était le désir en lui-même. Justement, les hommes sont généralement plus aveuglés par leurs fantasmes que par l’objet en lui-même.
Sara Gran, auteurL.S Hilton déteste le mot "féminisme" : "Lors des interviews, les journalistes ont tendance à faire la même conclusion facile : une femme écrivant sur une femme est forcément une féministe". Selon elle, être écrivaine, c’est savoir trouver son personnage, ses qualités mais surtout ses vices. Judith Rashleigh, cette femme qu’elle a inventé de toutes pièces, est une gentille fille à double face. La nuit, elle se transforme en "escort-girl" et tue les hommes qui osent mettre des bâtons dans ses roues. Et cerise sur le gâteau : elle adore ça.
"Freedom" de Jax Miller, quant à elle, traine dans les bars en compagnie de bikers et porte des tatouages tout comme sa créatrice : "C’est un peu un roman autobiographique", confie-t-elle. Plus que de simplement revendiquer les droits d’un sexe, les auteures s’amusent à répéter : "Nos personnages ressemblent en tout point à des hommes… mais elles ont des vagins, et alors ?"
Parler d’être femme en société sans chercher à prendre des pincettes, voilà tout le travail de ces deux romancières.
Côté France, "La petite femelle" de Philippe Jaenada raconte l’histoire vraie de Pauline Dubuisson, une jeune femme encouragée par son père en temps de guerre à démarcher sexuellement les soldats allemands pour arranger les affaires de son paternel. Elle deviendra d’ailleurs la maîtresse du médecin-chef de l’hôpital réservé aux occupants à Dunkerque. Ces relations lui vaudront d’être humiliée en place publique lors detragique adapté notamment au cinéma dans " la Libération. DestinLa Vérité" d’Henri-Georges Clouzot avec en tête d’affiche Brigitte Bardot.
Celle qu’on surnomma "l’infâme et l’orgueilleuse sanguinaire" tuera son futur fiancé par jalousie quelques années plus tard. Crime passionnel, amour destructeur, c’est le visage d’une femme paisible, les yeux fermés, et non celle d'une garce à la beauté froide que l’auteur a choisi pour sa première de couverture : "Elle a les yeux clos. Malgré tout ce qui se passe, elle ferme les yeux et semble sereine. J’ai voulu cacher ses yeux sombres car ils sont bien trop souvent attribués à la femme fatale."
Changer avec son tempsLes critères de la femme fatale, si elle existe en tant que telle, changent au fil des années. Dolores Redondo et Sara Gran écrivent respectivement sur une femme flic et une femme détective. Pour elles, la beauté fatale, c’est de ne pas avoir froid aux yeux. Pendant longtemps, les clichés ont eu la vie dure : "La femme dans les romans se cantonnait aux rôles de veuve, mère ou prostituée. Aujourd’hui, elle est policière et enquête comme un homme le ferait". En dépression, mal dans sa peau ou fugitive : la beauté fatale change les codes traditionnels qu’on lui avait jusqu’à présent collé à la peau notamment dans les films noirs (pensons à "Un si doux visage" d’Otto Preminger) et joue avec les a prioris du genre polar pour se renouveler. Elle couche pour assouvir ses désirs, séduit par plaisir, boit sans être alcoolique, fume comme un pompier et ne vit pas au crochet d’un mari aimant ou désespérée au bras d’un amant. Car la vie c’est aussi tout cela : des hauts et des bas. Alors bien sûr, on continuera d’accorder à la femme ce côté glamour puisqu’il faut la désirer : "J’essaie pourtant de ne mettre aucun critère de beauté dans mes livres. Chacun est libre d’imaginer le physique de cette femme", explique L.S Hilton. La désirer oui, mais comprendre que de son côté, la femme aussi peut fantasmer.
Vis ma vie d’auteures
D’autres avant ces auteures ont également écrit des polars où la femme est l’héroïne au cœur du récit (Patricia Cornwell avec "Postmortem", Camilla Ceder avec "Mémoires Gelées" ou encore Deborah Crombie avec "Une eau froide comme la pierre") : "Il y a tout de même plus d’hommes que de femmes qui écrivent ce genre de romans. Et ils sont plus souvent pris au sérieux que nous" confirme Jax Miller qui raconte une anecdote révélatrice à cet égard.
"J’avais écrit un roman dans la lignée de "Fight Club" de David Fincher sous un pseudonyme à consonnance masculine. Les maisons d’éditions étaient emballées à l’idée de travailler avec moi. Quand elles ont appris que j’étais une femme, elles se sont désistées..." Si leur public est en partie féminin, ces auteures sont persuadées qu’un jour, la femme écrivaine occupera une place tout aussi importante que leurs confrères dans le métier.
Avec "Maestra", L.S Hilton a décroché le gros lot : pas moins de 35 pays vont publier son roman eta déjà racheté les droits d’adaptation cinématographique. La productrice de "Millénium" et la scénariste de " la Columbia PicturesLa Fille du Train", prochainement au cinéma avec Emily Blunt, travaillent en ce moment sur le film. Pas de quoi s’inquiéter…les femmes ont la plume belle… et ce n’est pas prêt de s’arrêter.
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