"Qui-vive" de Valérie Zenatti : manuel de (sur)vie dans un monde au bord du chaos
Comment résister au fracas du monde qui nous entoure ? À quoi s’accrocher ? À un journaliste qui lui demandait il y a quelques années d’où venait sa joie intérieure, Valérie Zenatti a eu cette réponse réjouissante : "Quand tout à coup, dans le chaos de la vie, surgit le miracle des affinités, du langage commun, du partage possible. La joie de la rencontre, c’est la joie de la confiance dans l’humanité." Opposer au chaos le dialogue, le partage, la foi en l’être humain, c’est le chemin inlassablement arpenté par l’écrivaine dans ses livres, ses prises de position publiques et ici de manière éclatante avec ce dernier texte inquiet et profond : Qui-vive, un roman dont la portée résonne d’autant plus qu’il a été écrit avant les attaques terroristes du 7 octobre, sort vendredi 5 janvier aux éditions de l’Olivier.
"Croire en quelque chose de nouveau"
L’histoire : Depuis quelque temps, Mathilde ne va pas bien. On sort des confinements liés à la pandémie, et malgré un retour à la normale entre son quotidien de prof et sa vie de famille, elle semble lessivée. Elle perd le sommeil puis le toucher. L’irruption de la guerre en Ukraine et la perte brutale de son grand-père fétiche achèvent de la déstabiliser. Lui apparait alors le besoin "de croire en quelque chose de nouveau" dans un monde où les catastrophes s’accumulent. Sur un coup de tête, elle décide de partir dans le chaudron israélien, terre familiale et étrangère à la fois, archétype d’une société en perpétuelle crise. Commence pour elle un périple de quelques jours loin des siens, pour voir "comment on se remet en route après chaque choc, il y en a tant ici".
Avec cette femme "en partance" qui n’arrive plus à faire face, il y a cette idée qu’il est parfois nécessaire de se "dépayser" comme on le dirait d’une affaire judiciaire, pour retrouver une forme d’objectivité. Remettre les compteurs à zéro. D’ailleurs, à peine arrivée à Tel Aviv, Mathilde retrouve l’usage de ses sens, et peu à peu son état de vulnérabilité, ce sentiment d’être sur le qui-vive va lui permettre d’entrer en résonance avec le monde, au hasard de ses rencontres.
Et comme dans le précédent roman de Valérie Zenatti, la consolation advient au terme d’un processus, matérialisé par les différentes étapes du voyage (Tel Aviv, Netanya, Le Golan, Jéricho, Jérusalem) où chaque rencontre, semblable à une polyphonie, apporte une vision dans un monde sans Dieu. "Ce n’est pas parce que Dieu n’existe pas qu’on peut s’en passer si facilement, faut croire". Car telle est la question transversale du livre : par quoi remplacer Dieu ?
Le pari de l’altérité
Une partie de la réponse se trouve peut-être dans cette notion d’altérité magnifiquement représentée par certains personnages. Le jardinier Yoram qui vit au rythme de ses arbres, à l’écart du monde, Edna à la bonté énergique et sans jugement, la jeune Ofek et son club des "mécréants croyants"… Et l’on songe à cette phrase d’Aharon Appelfeld, si présent par moments : "Quand on rencontre quelqu’un, c’est signe que l’on va recevoir quelque chose de lui qui nous manquait."
Mathilde renaît peu à peu malgré la sensation d’un danger imminent. C’est la face sombre du récit où plane en permanence l’ombre du conflit. Avec le personnage du cousin Raphy, ancien soldat traumatisé par la guerre du Kippour, ou celui de Constance, metteuse en scène de théâtre qui présente à Jérusalem un texte tiré de La Guerre des juifs de l’historien Flavius Josèphe. Tous leurs échanges semblent prémonitoires. "On pourrait dire qu’on y est, on est de nouveau dans une déchirure comparable à celle qui existait entre les Judéens du temps des Romains, en 70 après Jésus-Christ.(...) Il fallait choisir la vie, et définir le meilleur moyen de la préserver", assène Constance dans les derniers chapitres. Préserver la vie face à la violence fanatique, c’est l’ultime question du voyage de Mathilde. La fin du livre apparait au regard de l’actualité comme un infime espoir. Le rêve pour l’instant inaccessible d’une humanité fraternelle et désarmée.
"Qui-vive", Valérie Zenatti, éditions de l’Olivier, 169 pages, 19,50 euros
Extrait : "Une douanière joufflue me réclame la raison de ma visite en même temps que mon passeport. Je suis ennuyée de ne pouvoir dire simplement 'Je suis là grâce à une vidéo que je regarde depuis deux ans', sur laquelle Leonard Cohen donne la plus grande leçon de vie qui soit. Il y parle de l’accord entre les êtres et le temps. De la nécessité absolue que cet accord soit juste. Il y parle aussi de l’amour, devant lequel même Dieu s’incline et qui ne le laisse pas en paix tant qu’il n’advient pas." (page 76)
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