"La science en cuisine", de Pellegrino Artusi : la bible de la cuisine familiale italienne enfin en français !
"La cuisine est une petite friponne ; souvent et volontiers, elle cause du désespoir mais elle cause aussi du plaisir, car en cas de succès, ou quand vous surmontez une difficulté, vous éprouvez de la satisfaction et chantez victoire". Bonne nouvelle, la bible de la cuisine italienne, "La science en cuisine et l'art de bien manger", de Pellegrino Artusi, est enfin traduite en français par Actes Sud. Un pavé de 640 pages, mais n'ayez crainte, ce livre n'a rien d'un manuel complexe pour spécialistes. Il propose 790 recettes, pas plus d'une page par recette, y compris les commentaires de l'auteur, qui aime accommoder tous ces secrets de cuisine avec un peu d'histoire, des anecdotes personnelles, ou des commentaires sur les bonnes pratiques de nutrition, d'hygiène, mais aussi des citations ou des références littéraires.
"Si l'on n'a pas la prétention de devenir un cuisinier émérite, je ne crois pas qu'il soit nécessaire, pour réussir, de naître coiffé d'une casserole ; il suffit d'être passionné", déclare Pellegrino Artusi dans sa préface. Pellegrino Artusi est né en 1820 dans une famille nombreuse et bourgeoise en RomagneAprès un drame, une attaque par des brigands qui plonge l'une de ses sœurs dans la folie, la famille s'installe à Florence. Artusi abandonne son métier de commerçant et se consacre à ses deux passions, la littérature et la gastronomie. Il assiste à des conférences, notamment celles de l'anthropologue et hygiéniste Paolo Manegazza, et publie deux livres sans grand succès.
Et puis un jour, "vaincu par l'insistance de nombre de ses connaissances", Pellegrino Artusi se décide à publier en 1891 "à ses frais et périls" (aucun éditeur n'en voulait), "La science en cuisine", qui jusque-là ne servait qu'à son "usage personnel". Il comptabilise déjà 475 recettes. Artusi les a collectées au cours ses nombreux voyages, pendant desquels il prend des notes. A l'époque l'Italie est unifiée depuis peu (1870), et c'est la première fois qu'un ouvrage rassemble des recettes des différentes régions d'Italie. Après une première édition, tirée à 1000 exemplaires, le livre d'Artusi fut réédité 15 fois de son vivant (il est mort très vieux).
Un livre interactif
A chaque nouvelle édition, il l'enrichit de nouvelles recettes et de nouveaux commentaires, des recettes qu'il recueille lui-même ou qu'il reçoit de ses "correspondants" de tout le pays. Un livre interactif avant l'heure, qui incitait les lecteurs et lectrices à partager leurs recettes. Artusi testait toutes les recettes lui-même, avec son cuisinier, avant de les consigner les nouvelles éditions de son ouvrage."Crostinis fleuris", "amourettes frites", "langue à l'écarlate", "douceur de Rome", "jaunes d'œufs sur canapé", "anolini à la parmesane", "sauce du pape", "cigales de mer farcies"… Avec ses 790 recettes et ses conseils diététiques, "La science en cuisine" est devenu au fil du temps une sorte de "code à l'usage des familles", très souvent offert en Italie aux jeunes mariées par leurs belles-mères. Il n'a cessé d'être réédité en Italie jusqu'à aujourd'hui. Artusi y défend une idée de la cuisine simple, accessible et familiale. Et il est vrai que les recettes ne font qu'une page, avec des consignes simples. Et même s'il faut adapter les recettes d'Artusi (on cuisinait au feu de bois, le réfrigérateur n'avait pas encore fait son apparition), son manuel reste d'actualité. Plus de 280 000 exemplaires ont été vendus depuis sa première publication.
En plus de son intérêt culinaire et pratique, "La science en cuisine" est aussi une plongée passionnante dans l'histoire, celle de l'Italie, de ses régions, de ses langues, de sa culture et aussi des influences de la cuisine française en Italie. "A la fin du XIXe siècle, en Italie, la grande cuisine, celle des hôtels et des restaurants, est française, ou plutôt francisée", explique dans sa préface Alberto Capatti, membre du comité scientifique de Casa Artusi (un centre de culture gastronomique dédié à la cuisine de famille, situé dans la ville d'origine d'Artusi).
Cuisine linguistique
Mais comme c'est surtout à la cuisine familiale qu'Artusi s'intéresse -un domaine où "chaque famille garde jalousement ses propres recettes, souvent rédigées et transmises par les femmes"- il se lance dans un travail de collecte et de transcription, oeuvrant par la même occasion pour l'unification linguistique de son pays. En effet à l'époque, le pays est unifié depuis peu "le problème majeur d'Artusi était le rapport entre l'italien et les dialectes, dans un pays ou la scolarité avait joué un rôle moins centralisateur qu'en France. Tous les cinquante ou cent kilomètres de la côte tyrrhénienne ou adriatique, la soupe de poisson changeait d'ingrédients et de nom", explique Alberto Capatti, ajoutant qu'Artusi "à partir du Toscan, fixera l'italien de référence, le recours aux variantes dialectales, et en dictant la recette, permettra d'harmoniser langue et culture au gré de la lecture et du savoir-faire de ses lecteurs".Antithèse des livres de recettes sur papier glacé et photographies alléchantes qui garnissent les rayons cuisine des librairies, "La science en cuisine" ne contient aucune photo, à peine quelques patrons pour indiquer la dimension des "demi-lunes" ou des "ricciarelli de Sienne", et quelques gravures anciennes pour ponctuer la lecture. C'est bien avec les mots que "La science en cuisine et l'art de bien manger" transporte le lecteur et le fait saliver, et c'est en cela qu'il est bien plus qu'un simple livre de recettes, mais un objet littéraire étonnant à ajouter sans tarder à sa bibliothèque !
"La science en cuisine ou l'art de bien manger", Pellegrino Artusi, traduit de l'italien par Margueritte Pozzoli et Lise Chapuis (Actes Sud - 640 pages - 26 euros)
Extrait :
"RISOTTO À LA MILANAISE III
Vous avez le choix ! Voici en effet un autre risotto à la milanaise ; mais je n'ai pas la prétention de vouloir en remontrer aux cuisiniers milanais, si savants et si créatifs en la matière.
300 g. de riz. 50 g; de beurre. Le quart de 1 oignon de taille moyenne. 2 doigts de marsala, dans un verre ordinaire. Safran en quantité suffisante.
Faites revenir l'oignon, finement haché, avec la moitié du beurre : versez le riz puis, quelques minutes plus tard, le marsala. Cuisez avec le bouillon et , en fin de cuisson, ajoutez le beurre restant ainsi que le safran dilué dans un peu de bouillon. pour finir une petite poignée de parmesan.
Ce risotto suffira pour trois personnes."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.