"La terre des morts", dernier roman de Jean-Christophe Grangé : polar ou encyclopédie des perversions sexuelles ?
La mise en scĂšne du crime est macabre, "nue, ligotĂ©e avec ses sous-vĂȘtements, la jeune femme avait Ă©tĂ© dĂ©figurĂ©e de maniĂšre horrible : le tueur avait figĂ© son visage sur un cri dĂ©mesurĂ© en incisant les commissures de ses lĂšvres jusqu'aux oreilles et en lui enfonçant une pierre au fond de la gorge pour maintenir la bouche largement ouverte". Corso hĂ©rite de cette Ă©pineuse enquĂȘte, en mĂȘme temps qu'il doit mener, pour obtenir la garde de son fils de 8 ans, un combat avec son ex-femme, une bulgare aux goĂ»ts sexuels un brin masochistes.
Les choses se corsent quand le policier trouve dans la cave jouxtant la boßte de strip-tease un trou dans le mur qui sépare cette cave des vestiaires du club, et un carnet de dessin dans lequel il découvre avec stupeur une esquisse de son ex-femme... Tandis que l'on découvre un nouveau cadavre dans une mise en scÚne analogue.
Glauque c'est glauque
L'enquĂȘte piĂ©tine. PlongĂ©e dans les milieux du "Shibari", l'art japonais de nouer les cordes, dans ceux du porno hard tendance SM et "bondage", ou dans les coulisses du Squonq, rien n'y fait, toutes les pistes explorĂ©es par le groupe de Corso mĂšnent Ă l'impasse, jusqu'Ă ce que les Ă©lĂ©ments se concentrent sur un personnage excentrique, ancien taulard, ex-prĂ©dateur sexuel tombĂ© pour meurtre, devenu peintre et mascotte des milieux artistiques et des bobos parisiens. L'animal s'appelle Philippe Sobieski. DĂšs lors, et sans qu'on sache pourquoi, Corso va en faire une affaire personnelle et tout tenter pour faire tomber l'affreux Sobieski.Pourquoi ces mises en scĂšne macabres ? Qu'est-ce qui lie les victimes ? Quel rapport avec les toiles de la sĂ©rie "Pinturas negras" du peintre espagnol Francisco Goya ? Pourquoi ces nĆuds Ă©tranges ? Le roman de GrangĂ© distille des rĂ©ponses sur plus de 500 pages, chapitres courts, phrases tirĂ©es comme des coups de feu, mĂ©nageant comme il se doit le suspense jusquâau coup de thĂ©Ăątre des derniĂšres pages.
Tous les ingrédients du polar y sont : du suspense, des rebondissements, de l'action, du sang, du sexe, des femmes fatales et un flic border-line, héros mi-ange mi-démon et adepte de formules un peu creuses dignes d'une excellente série B, sans parler de la superbe galerie de personnages, dessinés comme au cinéma, autant cÎté flicaille que cÎté racaille.
Encyclopédie des perversions sexuelles
Alors pourquoi ce roman n'est-il pas aussi enthousiasmant qu'on aurait pu l'espĂ©rer ? Peut-ĂȘtre justement parce que tout est si bien huilĂ©, si bien documentĂ©, si bien nourri de tout ce que l'on peut attendre d'un polar, que l'on finit par s'ennuyer, comme devant un objet trop usinĂ©, un crime trop parfait.Ă moins que ça ne soit le sujet ? GrangĂ© nous avait habituĂ© Ă des voyages, celui qu'il propose cette fois est une plongĂ©e dans la noirceur du dĂ©sir sexuel version hard, dĂ©clinĂ© ici Ă la maniĂšre (un peu artificielle) d'un catalogue des perversions en tous genres. Instructif, mais lassant, au bout d'un moment.
N'empĂȘche, "La terre des morts", sorti en librairie le 2 mai, fait dĂ©jĂ un carton (en 3e position derriĂšre Guillaume Musso et Franck Thulliez dĂšs la premiĂšre semaine) et l'on peut parier sans risque qu'il rĂ©jouira les amateurs de frissons.
"La terre des morts", de Jean-Christophe GrangĂ©Â
(Albin Michel - 560 pages - 23,90 euros)
Extrait :
"Les légendes indiquaient sobrement : "Pintura roja n°1", "Pintura roja n°2", "Pintura roja n°3", mais d'aprÚs ses lectures, Corsose souvenait que les historiens d'art les avaient respectivement baptisés : Le Cri, La SorciÚre, Le Mort...
"La terre des morts", Jean-Christophe Grangé (page 127)
Le plus Ă gauche reprĂ©sentait le visage balafrĂ© dont s'Ă©tait inspirĂ© de toute Ă©vidence, le tueur de Nina. Un galĂ©rien, ou un prisonnier, dont on discernait avec prĂ©cision, au bas du tableau, les bracelets noirs et les chaĂźnes. Ses commissures s'Ă©tiraient douloureusement jusqu'aux oreilles dans rire avide, Ă la fois blessure et provocation. On ne savait plus si cet homme, souffrait ou jouissait. Son expression pernicieuse â une grimace diabolique Ă vous glacer les tripes â jouait Ă plein sur l'ambiguĂŻtĂ©. Un initiĂ© qui vous regardait du fond de la souffrance en ruant de votre ignorance⊠"
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