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"Très heureuse, très émue", Leïla Slimani, lauréate du prix Goncourt 2016 pour "Chanson douce"

"Je suis bouleversée", a déclaré Leïla Slimani à son arrivée au Drouant, pour recevoir le prix Goncourt pour son roman "Chanson douce" (Gallimard). Les autres écrivains en lice étaient Régis Jauffret, Catherine Cusset et Gaël Faye.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Leila Slimani avec Bernard Pivot et les jurés du Goncourt, 3 novembre 2016
 (Laurence Houot / Culturebox)

C'est sous le soleil que la jeune écrivain franco-marocaine cette année couronnée par le Goncourt a fait son arrivée au restaurant Drouant. Avec "Chanson douce" (Gallimard), Leïla Slimani était la grande favorite de ce cru 2016. Elle succède à Mathias Enard primé en 2015 avec "Boussole" (Actes Sud). 

"Je me demande si tout cela est bien réel"

"Je suis émue et heureuse", déclare-t-elle, un large sourire aux lèvres. "Mais je me demande si tout cela est bien réél. j'ai du mal à y croire", lâche-t-elle en se tournant vers le président du Goncourt, Bernard Pivot, qui l'a accueillie dans la traditionnelle salle ronde. "Mais vous lisez les journaux quand même ! Cela ne vous aura pas échappé que vous étiez l'une des favorites", lui lance-t-il en souriant, visiblement sous le charme, avant d'engager tranquillement une conversation avec la jeune romancière (à propos de "Chanson douce", bien sûr), pendant que les photographe se régalent de ce beau visage jeune et rayonnant, et que les micros tentent une approche. Il y a du monde, comme chaque année, pour venir assister à l'évènement le plus "paillettes" de la vie littéraire. 
Contre-champ, Leila Slimani, prix Goncourt 2016 avec "Chanson douce" (Gallimard)
 (Laurence Houot / Culturebox)
"D'habitude, l'académie Goncourt récompense des livres du passé. Cette année, il récompense un livre qui parle du présent, du quotidien, et de ses problèmes, comme cette question de déléguer l'autorité et l'amour à une personne étrangère à la famille. Beaucoup de couples pourront se reconnaître dans ce livre", explique Bernard Pivot pour expliquer le choix du jury. "J'ai trouvé l'inspiration dans ma propre vie", confie Leila Slimani "J'ai moi-même cherché une nounou et j'ai découvert un monde. C'est un livre sur le quotidien, sur la vie d'une femme tiraillée entre son rôle de mère, et son désir de travailler. Aujourd'hui encore, c'est plus du côté de la mère que l'on va retrouver la culpabilité. La mère a toujours le sentiment de ne pas assez bien faire", explique-t-elle.

L'horreur surgie du banal

Dans ce second roman, Leila Slimani raconte comment une nounou envahit petit à petit l'espace laissé vacant par les parents, et le chemin qui la conduit à assassiner les deux enfants qu'elle adore. "Je voulais aussi raconter le destin d'une invisible et montrer aussi comment le cauchemar, l'horreur peuvent surgir du banal, du quotidien, des petits malentendus, des petites humilations répétées. Montrer comment il faut rester vigilant sur tous ces petits détails qui peuvent conduire au drame", explique la romancière. "Tout est littérature, ce qui compte, c'est comment c'est raconté et écrit. L'écriture de Leila Slimani est tout à fait adaptée au sujet : juste, méticuleuse, précise et en même temps pleine d'allant, toute en mouvement", défend Bernard Pivot.
Leïla Slimani, 3 novembre 2016
 (Laurence Houot / Culturebox)
Un peu à l'écart, Virginie Despentes savoure son premier Goncourt (elle est entrée dans le jury cette année). "C'est ma première fois puisque je ne l'ai jamais eu", sourit-elle. "Et je dois avouer que je suis un peu épatée par l'ambiance", dit-elle en faisant des photos avec son smartphone, bon public. "Franchement ? Ils sont cools", confie-t-elle. "Moi j'étais à fond pour le Gaël Faye, mais je trouve le roman de Leila Slimani très intéressant aussi. Dans la facilité de lecture et dans l'ironie aussi. Et franchement,  je trouve ça vraiment bien qu'un roman qui parle du quotidien d'une femme soit récompensé. Ce n'est pas le premier roman de l'histoire qui aborde cette question, mais c'est rarement mis en lumière. Pour ça, un Goncourt, c'est bien", poursuit la romancière.
Virginie Despentes et Frédéric Beigbeder le 3 novembre 2016 au Drouant
 (Laurence Houot / Culturebox)
L'autre petit nouveau du jury, Eric-Emmanuel Schmitt  est satisfait de son nouveau rôle de juré du Goncourt. "D'abord c'est un bel été de lectures", commence-t-il. "Et le choix pour 'Chanson douce' s'est imposé doucement, mais elle était en tête à tous les tours", raconte le romancier et dramaturge. "Elle est jeune, mais on sent déjà une grande maîtrise dans l'écriture. Les jurys n'aiment pas tellement récompenser les auteurs très jeunes, mais là on sent qu'elle a une grande maturité. Elle est suffisament solide pour que ce Goncourt ne soit pas pour elle un 'baiser de Judas'", conclut-il. 

Reportage : E. Cornet / D. Weber / A. Laroche

La cinquième femme en 20 ans

Les autres prétendants au plus prestigieux des prix littéraires étaient Catherine Cusset, pour "L’autre qu’on adorait" (Gallimard), Gaël Faye, pour "Petit pays" (Grasset), Régis Jauffret pour "Cannibales" (Seuil). Comme d'habitude, les délibérations sont restées très secrètes. Et comme d'habitude aussi, les spéculations sont allées bon train depuis quelques semaines, de nombreux pronostics donnant Leïla Slimani favorite. Mais on savait aussi que le jury déjoue le plus souvent tous les paris... En 20 ans, le Goncourt n'a récompensé que quatre romancières - la dernière, Lydie Salvayre, avait été primée en 2014 pour "Pas pleurer". Leïla Slimani est la cinquième.

Le prix Goncourt est une consécration pour les auteurs auréolés, et peut parfois les destabiliser. Mais il est à coup sûr une aubaine pour les éditeurs grâce à l'explosion escomptée des ventes du livre primé : la moyenne, pour un Goncourt, dépasse les 345.000 exemplaires - celle du Goncourt des lycéens va encore plus loin, avoisinant les 395.000. 

"Le Renaudot : un prix un peu décalé"

C'est aussi une femme qui a été cette année couronnée par le Renaudot, qui a récompensé 'Babylone" (Flammarion), de Yasmina Reza. Elle est arrivée la première, entrée théâtrale comme elle sait si bien faire, manteau rouge et lunette noires, "c’est tout simplement joyeux comme moment. J’ai mis mon manteau rouge ce matin, il fait beau. Je suis heureuse !", a-t-elle déclaré, avant d'ajouter qu'elle avait énormément de respect pour le Prix Renaudot. "J’aime beaucoup le style d’écriture des auteurs que le prix récompense chaque année. En plus d’être une récompense importante, le Renaudot un peu plus décalé par rapport aux autres prix de la rentrée littéraire". Avant de conclure" : "Pour moi, il ne faut pas réagir avec trop de vanité. Ce prix, c’est avant tout une belle opportunité pour le livre". 
Yasmina Reza arrive au Drouant pour recevoir son prix Renaudot, pour "Babylone" (Flammarion)
 (Laurence Houot / Culturebox)
"C'était une évidence", a expliqué Franz-Olivier Giesbert, membre du jury du Renaudot. "Pour moi, chaque nouveau livre de Yasmina Reza est un classique. Et je pense que c'est une bonne chose que le monde de la littérature s'intéresse à cet écrivain somptueux".

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