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Rencontre. Ali Zamir, ciseleur de mots, Prix roman France Télévisions pour "Dérangé que je suis !"

Ali Zamir vient de recevoir le Prix Roman France Télévisions pour "Dérangé que je suis !" (éditions Le Tripode). Nous lui avions rendu visite en sa demeure de Montpellier au mois de février. C'est une chance qu’on savoure comme les samboussas que sa dame nous a préparés. Car Zamir est hospitalier comme ses romans sont accueillants avec le lecteur.
Article rédigé par franceinfo - Christian Tortel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Ali Zamir chez lui à Montpellier
 (France Ô / Culturebox)
Reportage : Christian Tortel, Massimo Bulgarelli
"Dérangé que je suis !" est une histoire de dockers aux Comores, sur l’île d’Anjouan. Une course poursuite aux Îles de la lune, qui oppose un trio de caïds nommés Pirate, Pistolet et Pitié à un docker surnommé "Dérangé", d’où le titre de ce troisième roman d’Ali Zamir. Un petit roman, petit comme une grosse nouvelle et c’est une bonne nouvelle tant le plaisir de lecture est grand. Et comme on est en Afrique, les chariots des dockers sont baptisés de noms de sprinters américains. Ainsi poussés de gloire, ils vont plus vite.

Un style à la Pagnol

Oui, le carburant de cette course poursuite de chariots de dockers est une écriture, un style à la Pagnol nous dit son éditeur, Le Tripode. Pagnol moins connu pour sa vitesse que pour une atmosphère. Ce qui est vrai : la lecture va très vite grâce à une langue française qui vous laisse coi, "vous accoise", écrit Zamir qui aime les mots rares à l’ancienne mais évite tout néologisme (voir infra, comme on dit en littérature grise).

On traverse Mutsamudu comme un TGV, de la place Mzingajou jusqu’à la plage Foumboukouni dans la joie et la jactance d’un jeu fardé de mots vieux mais joyeux comme une friandise. Ça vous fait rire tel un cercueil ouvert, enivré par le récit de Dérangé opposé à ces "tardigrades", dixit Zamir, c’est-à-dire ces pieds nickelés des docks du port international Ahmed-Abdallah-Abderemane qui semblent être juste là pour faire briller Dérangé, personnage tendre et humble comme un gueux philosophe, à l’intelligence affûtée.

Ô lecteur oisif, ébahi par l’usage d’une langue française revigorée, revivifiée, ravigotée, requinquée, la lecture vous fera rire comme un peigne, rire comme un cercueil ouvert ou pleurer comme un veau, selon les mots de Zamir, tant son héros plutôt anti-héros déclenche une méchante hilarité enivrante avant d’être broyé de noir…

Quelle jactance que le lexique d’Ali Zamir dans "Dérangé que je suis !"

Le minuscule bureau d’Ali Zamir est peuplé de dictionnaires. Des vieux reliés comme un Robert en plusieurs volumes, des contemporains comme sa collection de Larousse spécialisés… Il assure ne pas forger de néologismes et préfère ostensiblement l’usage du mot ancien. Ses carnets en regorgent. C’est un collectionneur de mots à nul autre pareil. Il y a puisé quelques pépites pour son écriture de Dérangé que je suis, dont certaines sont rétives au correcteur automatique :
Chétive venelle
Jactance
Impéritie
Hâblerie excessive
Odeur thalassique
Elle me solaciait
Sa maman rébéqua
Afin de pouvoir accoiser
Ce pauvre petit enfant
Chablé
Gueuserie
C’est un parfait tartigrade
Une fillette gourmandée
Quinaud
Réduit à qui
J’ai vu Pirate accoiser Pistolet d’un geste de la main
Avancer, se radiner, s’écarter avec accortise
Une femme adonisée
Chiromancienne
Blaser la curiosité
Blaser la soif
D’un ton moqueur comme pour m’angarier
Chacunière
Abuter
Et si elle concoctait un vénéfice à mon égard
(Vénéfice : empoisonnement par sorcellerie)
Peau ansérine
Chapechuter
Recevoir une giroflée à cinq feuillets
Se lever d’ahan
Banane fardée
Farder son jeu
Empyrée
Quinquets bien allumés
L’huis
Donner le dos
Amphitryonne
Délabirynther
Respiration singultueuse
Saisi de harassement jusqu’aux entrailles
Soudaine et cuisante cohibition (empêchement d’agir)
Tentatives de constupration
Sinciput (≠ occiput)
L’obole d’un mot

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