"C'est comme une bulle." Autour d'une soixantaine d'auteurs invités, la 37e Fête du livre de Bron offre un écrin à la littérature contemporaine
" C'est dangereux de venir ici, on a envie de tout lire et de tout acheter." Dans les allées du salon du livre de Bron, Michèle Saint-Lager, la soixantaine souriante, a beau feindre d'être dépassée par la tentation, elle se sent ici dans son élément. Cette amatrice de littérature fait le déplacement à l'hippodrome de Parilly près de Lyon quasiment tous les ans. C'est là que la Fête du livre de Bron accueille trois jours durant (du 3 au 5 mars 2023) près de 20 000 visiteurs. Un rendez-vous littéraire incontournable qui laisse autant de place aux auteurs confirmés qu'aux primo-romanciers.
La qualité des rencontres littéraires
Michèle Saint-Lager cherche ses mots : "les rencontres ici sont abordables, pas trop intellectuelles, avoue-t-elle intimidée. Et de raconter la magie des rencontres et des discussions. "Hier avec Florence Aubenas (venue présentée son dernier ouvrage Ici et ailleurs, morceaux choisi de son travail de journaliste), je ne sais pas comment vous expliquer mais ses paroles m'ont transportée. Elle a un charisme et une humanité incroyables."
Florence Aubenas, Philippe Claudel, Lola Lafon, Philippe Jaenada, Valentine Goby, Lydie Salvayre ou encore Brigitte Giraud, lauréate du Goncourt 2022 avec Vivre vite (éd Gallimard), la fête du livre de Bron peut se targuer d'accueillir chaque année ceux qui font la Une de l'actualité littéraire mais c'est surtout à la qualité de ses rencontres qu'elle doit son succès et à la diversité des ses invités : romanciers, poètes, philosophes, historiens ou musiciens.
Un endroit où vivre
L'événement cherche à s'inscrire dans le monde d'aujourd'hui. Fil rouge de l'édition 2013 : Un endroit où vivre. Une thématique née dans l'esprit de son directeur Yann Nicol il y a un an déjà. Invitée en 2022, la philosophe Claire Marin présentait son livre Etre à sa place, publié aux éditions de l'Observatoire. "Ce livre posait la question de notre place dans le monde, la place qu’on a, la place que l'on gagne, celle à laquelle on est assignée, celle que l’on a envie de conquérir, explique Yann Nicol avec enthousiasme. Ce sont ces enjeux-là qui m’ont beaucoup intéressé. Après il y a eu toute cette réflexion qu’on a eu cet été avec la question environnementale, le rapport à l’habitabilité du monde de demain."
C'est donc d'espaces et de lieux habitables dont il est question. Des espaces géographiques d'abord qui interrogent notre rapport au déplacement, à l'exil et aux migrations mais aussi des espaces symboliques qui parlent par exemple de notre rapport à la famille, et même ces espaces virtuels où l’on est sensé vivre ensemble mais où l’on se cogne à une âpre solitude. Les mots de Georges Perec résonnent : "Vivre c'est passer d'un espace à un autre en essayant le plus possible de ne pas se cogner," écrivait-il dans Espèces d'espace publié en 1974.
C'est d'un lieu singulier que l'écrivaine Lola Lafon s'est inspiré pour écrire son dernier livre intitulé Quand tu écouteras cette chanson, chez Stock. L'éditeur lui a proposé, pour l'écrire, de passer une nuit dans un musée de son choix. Elle a choisi l'annexe du musée Anne Frank, à Amsterdam, où la jeune fille a vécu avant son arrestation et sa déportation. "C’est vrai qu’il y avait à la fois ce lieu très concret où j'ai passé une nuit complète mais moi j’ai l’impression que j’y suis allée en ayant un autre lieu en moi, témoigne l'auteure qui a reçu le prix du roman du magazine Les Inrockuptibles. C’est-à-dire le lieu du vide dans une famille et ce qu’on en fait. Je n’ai pas réfléchi les choses comme ça au début. Ca m’est apparu au cours de l’écriture."
A Bron, Lola Lafon a eu l'occasion de retrouver des lecteurs, de raconter ses questionnements et son processus créatif et de dialoguer avec d'autres auteurs. Des échanges d'une grande richesse autour de la question du silence, des non-dits et de l'absence de récit des déportés. "Pour moi c’est toujours inattendu, confie-t-elle. On ne sait jamais comment un livre va être reçu." Lola se souvient de ce couple d'à peine 20 ans rencontré à Grenoble. "Lui Palestinien et elle Ukrainienne. Tous les deux m'ont dit combien cette lecture était nécessaire, ça m’a vraiment beaucoup touchée." De Bron elle est repartie avec des lettres manuscrites écrites à son attention par d'autres lecteurs bouleversés.
Les coulisses de la création
La Fête du livre de Bron est sans aucun doute un endroit où vivre la littérature intensément. "Un espace protégé pour écouter les auteurs et parler de leur univers, confie Dominique Perrin, une fidèle de l'événement. Quand je viens ici, je ne suis disponible pour personne, je coupe mon téléphone et je me plonge dans ma bulle." Son amie avec qui elle partage cette journée hors du temps acquiesce. "On rencontre des gens qui aiment les livres, on se parle très facilement, ajoute-t-elle. Il y a une vraie communauté entre les lecteurs".
Mais ce qui plaît par-dessus tout à ces amoureuses de la littérature, c'est de découvrir les coulisses de la création. Comme cette histoire racontée par Xavier Le Clerc qui se remémore la quantité de crêpes qu'il a englouti de manière compulsive lors de l'écriture de son dernier livre, Un homme sans titre (éd Gallimard), le portrait de son père né en Kabylie dont la vie a été marquée par la faim et la torture. Des témoignages forts et bouleversants, comme des suppléments d'âme au récit. Ici les lecteurs ont le sentiment d'être privilégiés.
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