"Ainsi passe la gloire du monde" : Robert Goolrick dézingue Trump et son Amérique dans un roman désespéré
Un très beau roman autofictionnel qui embarque le lecteur dans la mémoire d'un ange déchu, perdu dans une Amérique en plein "suicide".
Ainsi passe la gloire du monde, le dernier roman de l'écrivain américain Robert Goolrick, est écrit et publié uniquement en France, "où il a trouvé une terre d'asile littéraire", précise l'éditeur, Anne Carrière. A la lecture de ce troisième opus d'une trilogie autofictionnelle, on comprend mieux pourquoi Goolrick n'a pas souhaité le publier aux États-Unis, tant il y exprime sa désolation face au spectacle du "suicide" de son pays, aux mains de Trump.
Avec ce dernier roman, l'auteur d'Une femme simple et honnête, Arrive un vagabond (Grand prix des lectrices Elle 2012), clôt son cycle autobiographique commencé avec Féroces et La chute des princes (Prix Fitzgerald 2015).
L'histoire : Rooney, le double fictionnel de l'écrivain, est au bout de sa vie. Depuis dix ans, il souffre d'une douleur inexpliquée dans le dos, qui l'oblige à rester immobile la plupart du temps, et à utiliser une canne quand il doit marcher. Il vit désormais seul avec son chien Judge dans son "cabanon", une petite maison en Virginie où il s'est installé après avoir quitté New York. New York, où il fut jadis un prince de Wallstreet, dandy richissime écumant les hôtels et les boutiques de luxe, multipliant les conquêtes, quelques femmes, et beaucoup d'hommes.
Rooney avait beaucoup d'amis, et beaucoup d'argent. Il cultivait le raffinement jusque dans les moindres détails, des verres aux souliers, en passant par la délicatesse avec laquelle il traitait tous ceux qui croisaient son chemin, des plus riches aux plus modestes. Il est aujourd'hui âgé, ruiné, et il a perdu tous ses amis. "L'amour, la douleur et la perte. Il ne se pose même plus la question du comment, comment est-ce arrivé, comment est-ce possible. C'est arrivé, voilà tout, aussi bêtement que de se faire poignarder en plein foie par un toxico dans une ruelle sombre parce qu'on n'a pas les cinq dollars dont le type a besoin pour sa prochaine dose, sa bouffée d'euphorie, ses quelques heures d'oubli".
Une soirée avec Trump
Désormais Rooney somnole dans son fauteuil et convoque son passé, ses amis, qui défilent "en une parade galante et enjouée". Mais "ce qui dérange la parade des visages aimés, c'est le séisme sous ses pieds, tandis qu'on lui arrache le pays qu'il a aimé et que le simple nom de l'Amérique est désormais un sujet de mépris qu'on évite de citer dans les conversations, même entre compatriotes".
"Ventripotrump", "Toxitrump", "TrompétantrompeurTrump", ou encore "Devastatrump", Rooney invente mille variantes pour décrire ce "dictateur à qui il ne manque que l'uniforme à épaulettes et boutons dorés". Rooney n'a pas de mots assez forts pour décrire le président américain, dont la figure, lancinante comme sa douleur, rythme le récit. "Ventipotrump n'a que des slogans. Et la vulgarité. Un grand atout, la vulgarité, de nos jours".
Il lui consacre un chapitre entier, joliment titré "Rancard à quatre avec Donnie à la Grenouille". Trump, pas encore président invite Rooney pas encore dieu de Wall Street à partager sa soirée avec deux jumelles roumaines, prostituées, prénommées Luminata et Lacrima. "Des déesses ! Et vierges ! Des jumelles, je te l'ai dit ? 20 heures. Sors le smoking. La limo viendra te prendre". Rooney accepte l'invitation. "Par-dessus son smoking, Trump portait une écharpe étroite en soie blanche, mon dieu quelle vulgarité, et il avait ce même air réjoui que ses fils auraient plus tard, après avoir massacré un éléphant en Afrique". Trump commande un coca light au sommelier, exige un bœuf wellington et déverse sa haine de "tous ceux qui n'étaient pas blancs et qui bousillaient la ville", avant d'offir à Rooney l'une des deux filles.
" - Laquelle des deux ? Je veux dire, elles sont pareilles, alors je m'en fous. C'est toi qui choisis.
- Tu plaisantes.
- Tu vois comme je suis généreux. Luminata ? Lacrima ? Ou bien tu veux qu'on rentre tous s'amuser chez moi ?
Porc. Demeuré. Petite frappe mal dégrossie."
La soirée s'achève dans les larmes de Lacrima, quand Rooney demande au chauffeur de la raccompagner à son hôtel.
Violé à quatre ans par son père
Rooney remonte le fil du temps, jusqu'à ses quatre ans, et cet événement qui, plus de 60 ans après, a provoqué la douleur qui le cloue au fauteuil toute la journée : le viol par son père, "Mister Micawber et Dracula en un seul homme", sous les yeux de sa mère. "Tout passe. Seule la mémoire demeure. La mémoire est une liberté autant qu'une prison. C'est tout ce qui nous reste quand la tasse à déjeuner se brise, quand l'oiseau cogne à la fenêtre et tombe par terre, tué sur le coup."
Ainsi s'écoulent les heures, dans les souvenirs et dans la douleur, dans la haine de Trump et dans la contemplation de la nature, qui sauve le reste, jusqu'au jour où Rooney reçoit un coup de fil lui annonçant la mort d'un de ses plus chers, (et riches) amis.
Dans ce roman en forme de testament, Robert Goolrick, peint dans une très belle langue, lyrique et mélancolique, le temps qui a passé, la perte, mais aussi les amours et les joies qui ont traversé la vie de Rooney. Il dresse un portrait sans concession de l'Amérique de Trump, qui apparaît ici comme un personnage fictionnel stylisé, un bouffon, un clown, un sinistre Jocker à la chevelure carotte, hantant les cauchemars d'un ange déchu.
Ainsi passe la gloire du monde, de Robert Goolrick, traduit de l'anglais (États-Unis) par Marie de Prémonville.
(Anne Carrière – 192 pages – 19 €)
Extrait
"TROMPETANT.
TROMPETANTROMPEURTRAÎTRETRUMP.
TRUMP.
Le ciel devient noir et l'eau traîtresse, les poissons basculent sur le dos, leurs nageoires d'argent noircies par la mort. Le chemin du retour, du bout du dock jusqu'au cabanon, lui paraît interminable et funeste.
Le monde entier se retrouve brusquement en péril et il n'adviendra plus jamais rien de bon ou de doux. Les lettres de Rooney resteront sans réponse. Son compte en banque demeurera vide, et il entrevoit le fil étincelant du rasoir qui traverse le ciel telle la croix de Jeanne d'Arc. Tout n'est plus que mort et Rooney ne peut qu'appeler la sienne de ses voeux puisque, où qu'il pose le regard, son pays, son magnifique pays gît sans vie. Un aigle audacieux finit par prendre son envol, depuis les grands pins noirs et se met à planer au-dessus de lui, ses ailes gigantesques déployées sur deux mètres d'envergure, oiseau d'une majesté dépassant l'entendement et qui pourtant n'est plus le symbole de rien, quand jadis il incarnait tout - le coeur de son enfance, son chemin d'home, l'épanouissement de son esprit aujourd'hui dévasté et incapable. Inapte.
Il appelle le chien et rentre en boitant dans sa petite maison dont il claque la porte. La journée est finie avant même d'avoir commencé."
(Ainsi passe la gloire du monde, page 31)
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