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"Au nord du monde" : la réédition d’un roman culte du britannique Marcel Theroux, dix ans après sa première traduction

Paysages superbes, nature sauvage : ce récit dystopique est écrit comme un western, avec pionniers, pistolets, gentils et méchants (qui ne sont pas toujours ceux qu’on croit) dans le grand Nord sibérien.

Article rédigé par Carine Azzopardi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'écrivain Marcel Theroux (©Maheeda Syed)

Journaliste, Marcel Theroux avait écrit ce roman après une rencontre avec une survivante de Tchernobyl. Ses nombreux reportages en Ukraine dans la zone interdite ont nourri l’atmosphère dystopique et pourtant hyperréaliste d’un récit haletant dont le lecteur n’émerge qu’à la dernière page. Au nord du monde, de Marcel Theroux, traduit de l'anglais (Royaume-Uni) par Stéphane Roques, a été réédité en avril aux éditions Zulma (400 pages, 20€).

L’histoire : avec le réchauffement climatique, de nombreux Américains quittent des villes devenues inhospitalières aux Etats-Unis et, comme leurs ancêtres pionniers, reprennent la route. Direction : le grand Nord sibérien, devenu habitable, où ils vont fonder de nouvelles villes, et y vivre en respectant les ressources environnantes, pendant que "le monde d’avant" s’éteint. Makepeace est née là, à Evangeline. Elle n’a rien connu des villes que ses parents ont quittées. Mais le déclin est inexorable, et peu à peu, la population est rattrapée par le monde extérieur. Bientôt, ne reste plus à Evangeline que Makepeace, qui va devoir survivre.

Que reste-t-il après le monde ?

C’est un roman de science-fiction, et pourtant on s’y croirait. Makepeace, l’héroïne féminine est tel un mot épicène, jouant sur l’ambiguïté sexuelle pour survivre face à des bandes qui ravagent tout sur leur passage. Elle cultive son jardin, chasse, et avec son fusil surveille ce qui reste de sa ville, et de sa vie. Un jour, une jeune cosaque tombée du ciel va bouleverser ses plans, et lui redonner l’espoir d’un avenir possible.

Chacun s'attend à assister à la fin de quelque chose. Ce à quoi nul ne s'attend, c'est assister à la fin de toute chose.

Marcel Theroux

"Au nord du monde"

Que reste-t-il après le monde ? C’est à cette question que tente de répondre Marcel Theroux dans ce roman où les hommes sont poussés dans leurs retranchements, retournant à la vie sauvage, où seuls les plus résistants, ceux qui sont le plus ancrés dans la terre, vont survivre. "Les colons étaient des bêtes de somme. (…) Les hivers radoucissaient. Il y avait des sources chaudes au nord de notre ville que nous amenions par une canalisation pour chauffer nos serres. Nous faisions pousser des tomates dans l’Arctique et parlions d’y planter des orangers."

Les traces d’humanité passent souvent par les livres que l’on sauve, alors que l’oralité a repris le dessus, et que les bibliothèques sont désormais des reliques que l’on pille.

Un récit époustouflant

Un jour de désespoir, Makepeace voit passer un avion, et décide de partir à la recherche du monde d’avant qui doit bien, se dit-elle, exister quelque part, puisque cet avion vole : "Je ne voulais pas devenir comme Pankov, regarder passer les années comme un homme dans une salle d’attente, attendre mon heure jusqu’à la chute qui me serait fatale, ou l’accident qui me laisserait impotente. Mais je voyais bien que je courais le risque de finir ainsi. Entre le monde de ma jeunesse et celui dans lequel j’évoluais désormais, il y avait un gouffre si béant qu’il m’était de plus en plus difficile de le franchir, même en imagination."

Marcel Theroux arrive à nous captiver pour suivre les aventures de Makepeace qui vont se dérouler tambour battant, dans un récit époustouflant. Les rebondissements s’enchaînent, ne laissant aucun répit au lecteur, même pour s’apitoyer sur le sort de son héroïne. Car tout ce qu’elle finit par trouver c’est une ville-fantôme, restée figée dans le temps, avec ses trésors, ses cadres-photos, ses souvenirs enfermés dans une boule de neige pour les touristes. Une ville dont la description si minutieuse et réaliste nous fait immanquablement penser à Tchernobyl, que les habitants ont quittée en quelques heures. Voire Pompéi figée dans les cendres.

Entre "Blade Runner" et "Mad Max"

Imaginant un monde où l'existence de ces survivants de catastrophes n'appartiendrait pas au passé de nos ancêtres, mais à l'avenir de nos enfants, Marcel Theroux se glisse dans leur esprit, et nous avec, pour se demander quel regard ces descendants porteront sur nous, dont la civilisation aura échoué, avec sans doute, écrit-il, "le même mélange d'admiration mêlé de crainte qu'un chevrier du Moyen Âge pouvait éprouver devant les ruines romaines." 

"Jamais auparavant, écrit en post-face l'écrivain japonais Haruki Murakami qui l'a lu après la catastrophe de Fukushima en 2011, je n'avais lu de livre qui m'ait autant donné envie de demander aux gens ce qu'ils en pensaient"

Oscillant entre Blade Runner dans les steppes et Mad Max à cheval, ce récit exerce une fascination certaine, parfois morbide, où l'inespoir devient comme dirait Thiéfaine, la seule stratégie de survie. 

Couverture de "Au nord du monde", de Marcel Theroux (Editions Zulma)

"Au nord du monde", de Marcel Theroux, traduit de l'anglais (Royaume-Uni) par Stéphane Roques, paru le 1er avril 2021 aux éditions Zulma, 400 pages, 20€.

Extrait : "Chaque jour, je boucle mon ceinturon de revolvers pour aller patrouiller dans cette ville miteuse.
   Je fais ça depuis si longtemps que j'ai pris le pli, comme la paume de la main qui porte un seau dans le froid.
   Le pire, c'est l'hiver, quand j'émerge d'un sommeil agité, que je cherche mes bottes à tâtons dans le noir. L'été, ça va mieux. L'endroit est presque ivre d'une lumière sans fin et le temps file pendant une semaine ou deux. Il n'y a pas vraiment de printemps ou d'automne digne de ce nom. Ici, dix mois par an, le climat mord la peau.
   Le silence règne, désormais. La ville est plus vide que le paradis. Mais avant ça, il y a eu des moments si durs que j'accueillais presque avec gratitude une bonne vieille tuerie entre adultes consentants. 
   Oui, quelque part sur l'échelle des années, mes yeux se sont éteints avec le meilleur de moi-même."

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