Audacieuses, les dames du Femina choisissent "Le garçon" de Marcus Malte
13 heures pile dans les salons cosy du club Interallié (avec vue sur le jardin), le jury du Femina s'avance vers les caméras pour annoncer ses choix pour 2016, par la voix de sa présidente Mona Ozouf. Un choix marqué cette année par l'audace. Les dames ont choisi "Le garçon", de Marcus Malte, publié aux éditions Zulma. "Ce roman est une météorite tombée dans les plates bandes du monde littéraire", déclare Mona Ozouf. "Avant de le lire, je ne connaissais pas cet auteur. Je croyais que c'était un premier roman", avoue la présidente en souriant. "Le garçon" raconte la vie d'un enfant sauvage au début du XXe siècle, un personnage sans voix et sans nom. "C'est un grand roman naturaliste, qui ressuscite le mythe de l'enfant sauvage sur le chemin de la civilisation", défend Mona Ozouf.
"C'est aussi un roman sur 'l'ensauvagement' des hommes par la guerre,qui nous rappelle que la barbarie campe aux frontières du monde civilisé", déclare Mona Ozouf. "Ce qui en fait un roman très actuel"', précise Danièle Sallenave. "C'est une voix très originale, et quand on tombe dans ce roman, on ne peut qu'être charmé", s'enthousiasme Mona Ozouf, précisant que les débats ont été très nourris mais courtois "C'était un choix difficile car c'est une excellente rentrée littéraire", précise-t-elle. Le jury du Femina s'est aussi félicité d'avoir récompensé avec ce prix les éditions Zulma. Pour Mona Ozouf, "ce n'est pas un critère déterminant, mais c'est agréable de couronner une petite maison d'édition indépendante en même temps qu'un auteur peu connu".
Marcus Malte : "Il y a d'abord des sonorités, une langue, puis ensuite viennent les idées"
Marcus Malte est là. Cheveux longs, regard bleu, sourire sur les lèvres.On l'avait aperçu quelques secondes avant l'annonce officielle, traversant furtivement le couloir avec son éditrice. "Je suis heureux", lâche-t-il dans un souffle. Il faut s'approcher de lui pour saisir les mots qu'il prononce en chuchotant. "Je pense que cela peut permettre à mon livre de toucher un public plus large",confie Marcus Malte, auteur d'une dizaine de romans et notamment de "Garden Of Love" (Zulma 2007), de romans noirs, et d'albums pour la jeunesse ou de scénarios de BD. Il explique avoir trouvé l'inspiration de ce livre dans la musique. "Je ne commence jamais rien à partir d'une idée, mais plutôt d'une musique", explique le romancier. "Il y a d'abord des sonorités, une langue, puis alors viennent les idées".A la question de savoir si ce n'est pas trop compliqué d'écrire un livre sur un personnage qui ne parle pas, le romancier répond que ce qui l'intéressait justement, c'était d'explorer d'autres voix que le langage. "Mon personnage au début est plus proche du règne animal, il est donc normal qu'il ne parle pas. Les animaux ne parlent pas. Pour la suite je me suis posé la question de savoir si je le faisais accéder au langage, mais j'ai finalement fait le choix de le faire s'exprimer différemment", explique Marcus Malte.
"Je ne parle pas de moi. C'est un sujet qui a peu de chance d'intéresser les lecteurs"
"Mon livre interroge sur ce qu'est être un homme, et cette question vaut autant aujourd'hui qu'il y a cent ans", explique-t-il, la voix toujours en sourdine. "Je ne parle pas de moi. C'est un sujet qui a peu de chances d'intéresser les lecteurs", sourit-il. "Je préfère vivre d'autres vies à travers mes personnages. S'il y a un peu de moi dans le garçon ? Il faudrait poser la question à un psy. Ce que je peux dire c'est que cette recherche dans l'isolement ce ce que l'on est profondément", dit-il. Il cite Hugo, Zola, Verleine, Rimbaud, Giono, Cendrars. "Attention je ne me compare pas à Victor Hugo, hein, que les choses soient claires, mais j'ai essayé d'insuffler un peu du souffle de ces grands auteurs naturalistes et des poètes du XIXe et XXe siècles", conclut-il.De son côté, Laure Leroy, la patronne des éditions Zulma, affiche un large sourire. "C'est une nouvelle magnifique", lâche-t-elle, les joues rosies par le bonheur. "Une nouvelle qui récompense un auteur que je défend depuis plus de dix ans, et qui récompense aussi le travail d'un éditeur". "C'est un roman déjà très bien soutenu par de nombreuses librairies indépendantes. J'espère que ce prix viendra conforter ce choix auprès des lecteurs".
Le prix Femina du roman étranger a été attribué à Rabih Alameddine pour "Les vies de papier" (Les Escales) et le Fémina de l'essai à Ghislaine Dunant pour "Charlotte Delbo, La vie retrouvée" (Grasset). "Nous avons voulu récompenser un essai, mais aussi rendre hommage à Charlotte Delbo. C'est le rôle aussi des prix que de rendre hommage à des personnalités", a déclaré Mona Ozouf au sujet de l'essai consacré à la l'écrivaine rescapée d'Auschwitz. Et enfin du côté du roman étranger, "Les vies de papier" (Les Escales), les dames du Femina saluent un roman d'une très grande originalité, "qui rend hommage au pouvoir des livres. Un roman sur la place des livres dans la société, les livres qui illuminent un monde perturbé par la guerre", conclut Danièle Sallenave.
Retour sur l'histoire du prix Femina, avec Franceinfo :
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