Bisexuelle, accusée de plagiat, fâchée avec Hitchcock ... Cinq choses à savoir sur Daphné du Maurier
On l'aurait parfois souhaitée plus sec ou plus sexe, mais, pour l'essentiel, "Manderlery for ever" tient le pari. Ce pavé de quatre cents pages conte avec bonheur la vie de Daphné du Maurier (1907-1989), grande dame des lettres britanniques issue d'une famille londonienne bourgeoise et bohême. Bon sang ne saurait mentir : le père était acteur, et le grand-père George, déjà écrivain (il a signé le fascinant Peter Ibbetson, porté au cinéma en 1935 par Henri Hathaway).
La richesse de détails de cette biographie enchantera lecteurs et lectrices frappés à jamais, à l'adolescence, par la noirceur de "Rébecca" ou l'oppressante ambiguïté du "Général du roi" (un chef d'oeuvre récemment adapté au cinéma par Nina Companeez pour France 3). Que retenir de ce livre lu avec plaisir ? Parmi d'autres, cinq anecdotes inédites, méconnues ou oubliées sur l'auteure des "Oiseaux" :
1. Elle était bisexuelle, ses soeurs homosexuelles
Tatiana de Rosnay n'élude ni ne s'attarde sur le sujet. Mais le lecteur/ la lectrice note, au fil des pages, la liberté de moeurs des trois soeurs du Maurier, dès la fin des années 1920. Partie à 17 ans en internat à Meudon, près de Paris, pour perfectionner son français, Daphné du Maurier s'enflamme pour la directrice Fernande Yvon, "petite femme sophistiquée et "piquante". La jeune fille obtient même de ses parents de passer des vacances en Auvergne, avec l'élue de son coeur. De cette "relation passionnée", demeurera une amitié à vie. Son mariage d'amour à l'été 1932 avec Sir Frederic Browning, d'où naîtront trois enfants, n'empêchera pas d'autres amours féminines. La romancière s'éprend - sans retour- d'Ellen Doubleday, l'épouse de son éditeur américain, puis entretient une liaison joyeuse avec l'actrice Gertrude Lawrence. Ses soeurs Angela et Jeanne, artistes elles aussi, choisiront de vivre avec des femmes.
2. Elle ne s'entendait guère avec Hitchcock
La blonde romancière et l'amateur de blondes glacées ne s'entendirent guère. Dès l'adaptation hitchcockienne de "L'Auberge de la Jamaïque", en 1939, elle ne reconnaît, écrit sa biographe, "ni son intrigue ni ses personnages" . Logiquement, l'écrivain se désespère en apprenant que c'est au même cinéaste que le producteur David Selznick a confié l'adaptation de "Rebecca"... succès colossal du printemps 1940. Pour le coup, la romancière "adore le film". Mais goûtera moins, au printemps 1963, "Les Oiseaux", qu'elle juge "trop éloignés" de sa nouvelle. Elle note surtout que si le grand Hitch a adapté trois de ses oeuvres en un quart de siècle, "il ne lui a jamais rendu hommage et a toujours eu tendance à minimiser, voire à dénigrer son travail d'écrivain".
3. Elle a été jugée pour plagiat
Est-ce la sanction des écrivains à succès ? Incroyable best-seller, Rebecca lui vaut deux accusations de plagiat, dont l'une se traduit par un procès à New York en novembre 1947. Une écrivain peu connue, Edwina McDonald, l'accuse de s'être inspirée d'une de ses nouvelles publiée en 1928, "Les fenêtres noires". A la barre, Daphné affirme et réaffirme qu'elle ne connaissait pas ce texte lorsqu'elle a écrit sa fiction en 1937, une décennie plus tard, en Egypte où son mari officier avait été nommé. Qui a oublié la première phrase du roman, qui est aussi celle du film ? "J'ai rêvé la nuit dernière que je retournais à Manderley "... Elle raconte comment, dans la fournaise d'Alexandrie, cet ombreux manoir imaginaire a été inspiré par le souvenir du château réel de Menabilly, dans cette Cornouailles dont elle a fait son paradis sur terre. Elle tait en revanche sa jalousie envers la première fiancée de son mari, source d'inspiration de la première épouse maléfique de l'histoire. Bref, elle dit assez sur la genèse du livre pour que le 14 janvier 1948, la justice américaine reconnaisse son innocence.
4. Son mari a été incarné au cinéma par Dirk Bogarde
Militaire de haut rang, Frederick Browning a pris part à l'opération menée en septembre 44 en Allemagne "pour parachuter des divisions aéroportées derrière les lignes allemandes, afin de capturer des ponts stratégiques" permettant aux troupes alliées de pénétrer en Allemagne. Le mari de Daphné du Maurier met alors en garde l'état-major : "Le généra Montgomery ne vise-t-il pas un pont trop loin" ? L'opération tourne au carnage, 17 000 soldats alliés trouvent la mort. Trente ans plus tard, un livre, puis, en 1977, un film de Richard Attenborough sera tiré de cette histoire réelle. "Tommy" Browning est incarné à l'écran par Dirk Bogarde. Et la formule "un pont trop loin" apparaît dans sa bouche non pas avant, mais après le désastre, comme le comble du cynisme. A la grande fureur de Daphné du Maurier, veuve qui entend défendre l'honneur de son mari décédé en 1965.
5. Elle a milité pour l'indépendance de la Cornouailles
Daphné du Maurier a vécu des décennies dans ce bout de côte sauvage du sud-ouest de l'Angleterre, notamment à Menabilly, le château qui a inspiré Manderley. L'amour pour cette lande battue par les vents était tel qu'elle adhère en 1969 à un mouvement favorable à l'indépendance de la Cornouaille, Mebyon Kernow. Dans "Mad" (1972), elle imagine l'Angleterre envahie par les Etats-Unis, "puis la farouche résistance antiaméricaine née au fin fond de ce coin perdu de Cornouaille". Un "roman futuriste aux accents alarmistes" accueilli assez fraîchement par la critique, qui n'apprécie guère ce côté "Yankees go home". Les seventies se lèvent et elles s'annoncent américaines. La musique d'outre-Atlantique enthousiasme la jeunesse occidentale et la vieille dame anglaise apparaît désormais déphasée, hors de son temps. Mad sera son ultime roman.
Manderey for ever, de Tatiana de Rosnay
Editions Albin Michel / Héloïse d'Ormesson, 466 pages, 22 euros
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