Cécile Ladjali publie "Aral", envoûtant roman sur une mer disparue
Quelle est la trame d'"Aral", bouleversant roman que vient de publier Cécile Ladjali aux éditions Actes Sud ? Une histoire d'amour fou entre Zena, jeune beauté rousse, et Alexeï, musicien virtuose devenu sourd avant l'adolescence. Une passion de toujours entre deux enfants grandis au fond du désert, près d'une mer qui disparaît, sur fond de déliquescence de l'empire soviétique.
"Aral ouvre sur quelque chose de très intime"
Pourquoi Cécile Ladjali a-t-elle choisi de construire son action dans un Kazakhstan si lointain ? Professeur de français à la Sorbonne Nouvelle et dans un lycée de déficients auditifs, elle nous a confié qu'elle aimait relever des défis: "Une mer qui disparaît, un type qui devient sourd, c'est bien corsé." Mais surtout, "Aral ouvre sur quelque chose de très intime". Ses parents Ladjali -qui lui ont donné son nom- l'ont adoptée à six mois. "Irannienne, pas mariée", sa mère était venue accoucher à Lausanne où elle l'avait laissée. Et le Kazakhstan de son livre n'est pas très loin de l'Iran.
Sans y être allée, elle s'est documentée, sans excès pour ne pas "lester l'écriture", sur cette mer disparue et réapparue. Documentation, encore, sur les horreurs environnementales de feu l'empire soviétique: Moscou testait des armes biologiques sur une île de la mer d'Aral, près de villages habités."On y cultivait la peste et le virus mis au point par le docteur Ustinov, qui donne des suées sanglantes et fait crever en trois jours. Après le départ de l'armée, il restait des bacilles de Koch purulents dans cette île devenue presqu'île, avec des rats et des serpents contaminés regagnant le continent."
Dans ce cadre dévasté, mélancolique et magnifique, elle a choisi comme héros de son histoire d'amour un musicien qui compose malgré sa surdité. "Le personnage d'Alexeï va tout transposer sur les quatre sens qui lui restent. Il est hébéphrénique : c'est la maladie des plus grands, comme Beethoven. Vous rentrez en vous pour écrire votre propre musique intérieure."
Comme elle : " Violoncelliste, c'est une métaphore de l'écrivain. L'écriture vous permet de mettre en syntaxe un truc qui vous rend dingue" - dans son cas, l'abandon à la naissance.
Pour accéder à la culture, "inverser la logique du caïdat"
Et cette prof optimiste de poursuivre : " C'est très parallèle aux éléves : ils ne peuvent s'intégrer que s'ils ont les mots. " Avec son ami Eric Naulleau, qui dirigeait alors les éditions des Equateurs, elle avait publié des textes de collégiens de Seine-Saint-Denis, qui en avaient tiré une immense fierté. En banlieue, dit-elle, "celui qui maîtrise les mots est considéré comme un 'bouffon', un 'pédé'. C'est aux enseignants d'aider les gamins à inverser une logique qui est celle du caïdat, et il y a plein de profs qui font ça !"
"Seule la beauté peut aider ces mômes là", continue-t-elle. "Ils nous en veulent énormément quand on les prive de ça, qu'on leur donne une sous-culture. Cette démagogie est grave dans un monde de reproduction des élites. Il n'y aura pas de place pour ceux qui ne maîtrisent pas les mots."
"Bien sûr que je suis très optimiste, il n'y a que ça qui marche," conclut-elle. Optimiste et exigeante, comme ce livre hanté par la musique et construit sur une tension croissante autour d'une mer qui disparait, puis qui revient. Comme la littérature.
"Aral" Cécile Ladjali (Actes Sud, 18,90 euros)
Voir aussi : L'Objet de ... Cécile Ladjali
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