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« Certaines n’avaient jamais vu la mer » : une odyssée japonaise aux USA

Avec « Certaines n’avaient jamais vu la mer », l’Américaine d’origine japonaise Julie Otsuka revient sur l’histoire méconnue des migrants japonais aux Etats-Unis au début du vingtième siècle.
Article rédigé par franceinfo - Philippe Triay
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Publié
Temps de lecture : 3min
"Certaines n'avaient jamais vu la mer" de Julie Otsuka
 (Robert Bessoir)

L'émigration de japonaises dans les années 1900, pour épouser des ouvriers américains
L’auteur y raconte le périple de femmes japonaises émigrant en Californie dans les années 1900 pour y rejoindre leur futur mari, qu’elles n’ont jamais rencontré mais avec qui elles ont correspondu et échangé des photos. Après un voyage éprouvant, la désillusion est au rendez-vous. L’époux, qui s’était présenté comme homme d’affaires ou gérant d’un commerce, est généralement un ouvrier agricole, qui a besoin d’une épouse pour l’aider aux champs et satisfaire ses besoins sexuels. Les poses avantageuses des photographies ne correspondent pas à la réalité.

Malgré tout, la vie s'organise, des enfants naissent. Certaines parviennent même à aimer leur mari, ses mains calleuses et sa rudesse. Et puis, ce serait une honte pour la famille que de retourner au Japon. 

"Existe-t-il une tribu plus sauvage que les américains ? "
L’apprentissage du déracinement est cruel : un pays étranger, aux dimensions immenses, une autre langue, d’autres mœurs - aux antipodes de ceux du Japon – le poids de la discrimination, du machisme, et la dureté du travail quotidien. « Nous nous demandions si nous n’avions pas fait une bêtise en venant nous installer sur une terre si violente et hostile. Existe-t-il tribu plus sauvage que les Américains ? » interroge la narratrice. Il y a beaucoup de peine, et de rares petits bonheurs.

Le chaos après Pearl Harbor 
Et puis la base américaine de Pearl Harbor à Hawaï est attaquée par le Japon, en décembre 1941. Les Etats-Unis entrent en guerre. Les immigrants japonais vivant aux Etats-Unis, comme les Américains d’ascendance japonaise, sont considérés comme une cinquième colonne composée d’espions et de combattants potentiels. La chasse est ouverte. Intimidations, violences, délations, emprisonnements. C’est l’escalade, jusqu’à ce qu’en quelques jours, en catimini, des dizaines de milliers de Japonais soient déportés dans des camps et acheminés dans l’Utah, le Nevada, le Wyoming, l’Idaho, où ils continueront de travailler dans des champs.

« Certains des nôtres sont partis en pleurant. Et certains en chantant. L’une avait la main plaquée sur la bouche parce qu’elle avait le fou rire. Certains étaient ivres. D’autres sont partis en silence, tête baissée, plein de gêne et de honte. (…) La plupart d’entre nous ne s’exprimaient qu’en anglais afin de ne pas provoquer la colère des foules qui se rassemblaient sur notre passage pour assister à notre départ. Beaucoup des nôtres ont tout perdu et sont partis sans rien dire. Nous portions tous une étiquette blanche avec un numéro d’identification attaché à notre col ou au revers de notre veste. »

Avec un ton juste et émouvant, Julie Otsuka revient sur une histoire largement occultée, et sa puissance d’évocation fait de cet ouvrage, non seulement un remarquable travail de mémoire, mais un pur chef d’œuvre. Après « Quand l’Empereur était un Dieu », publié en 2002, ce deuxième roman a obtenu le prix PEN/Faulkner Award for fiction aux Etats-Unis.


« Certaines n’avaient jamais vu la mer » de Julie Otsuka (éditions Phébus)
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Carine Chichereau - août 2012 - 143 pages - 15 euros.

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