Charif Majdalani : "On n'a pas encore compris la guerre civile au Liban"
Charif Majdalani raconte comment la guerre civile du Liban (1975-1990) transforme une famille aisée, le passage d'un âge d'or à une ère de violence, le portrait de ses membres, du rôle contrasté des hommes au rôle traditionnel et à l’aliénation des femmes ou de leur résistance, de la prospérité bourgeoise de la famille à sa déchéance, dans la narration qu'en fait le chauffeur de la famille depuis son poste d'observation : le perron de la villa.
Le style ample au phrasé fluide de Charif Majdalani épouse les sentiments de ses personnages, depuis le poste d’observation d’un quidam a priori secondaire. Cette écriture forgée dans un pur et beau classicisme rend toute sa noblesse à la langue. Elle plonge le lecteur dans les affres du temps qui passe et ruisselle sur les hommes et les femmes comme les rafales des armes en guerre. Le final très cinématographique va surprendre. Il est particulièrement réussi et finit de transformer ce roman en une fresque majeure sur les ravages de la guerre focalisés sur une villa, véritable cœur de souffrance du Liban.
Extrait, p. 174
Tandis que Noula sombrait, que Mado et Marie se déchiraient, le pays allait à la catastrophe sans que nous nous en souciions. Pourtant, je continuais à discuter avec mes compères, le facteur, le livreur de la teinturerie, et le marchand de journaux qui ne cessait pas de lancer ses liasses au pied de mes quatre marches. Je les saisissais en maugréant, parcourais le titres récurrents sur les accrochages de Tell el-Zaatar, les manifestations des partis de gauche, les menaces de l’OLP, la sécession des régions méridionales, les bravades des partis chrétiens et celles de leurs rivaux dans le partis sunnites. Mais tout ce cirque me semblait éternel, comme s’il existait depuis des siècles et devait durer encore des siècles, exactement comme le passage des marchands ambulants devant le portail, comme la cueillette des oranges ou le ramassage des pignons sur les pins, comme le vacarme des cigales en été, comme le vent incessant de juillet, comme les ombres des vergers dans la lumière de la pleine lune ou le froufrou des chauve-souris sous les ramages.
Charif Majdalani insiste sur les effets à long terme de la guerre terminée pourtant il y a quinze ans. Cela fait depuis peu de temps qu’il est capable d’écrire sur la guerre ou sur l’après-guerre.
"Villa des femmes" de Charif Majdalani (Seuil) 18€
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