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"Cœur tambour", Scholastique Mukasonga fait retentir l'âme africaine

La romancière rwandaise Scholastique Mukasonga publie un roman qui plonge aux sources de l'Afrique. "Cœur tambour" (Gallimard) nous embarque dans un voyage qui passe par l'Afrique, les Caraïbes, l'Ethiopie, New York et suit son cours jaillissant au rythme des tambours percutés par des rastas, et du chant incantatoire de la reine Kitami, une sorcière venue des profondeurs de la tradition rwandaise.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
La romancière Scholastique Mukasonga publie "Coeur tambour" (Gallimard)
 (C Hélie / Gallimard)
L'histoire : l'histoire commence avec la fin tragique et mystérieuse d'une chanteuse africaine. Kitami, que l'on appelle aussi l'amazone noire, est morte écrasée sous le poids de "Ruguina", un tambour sacré qui l'accompagne dans ses tournées. C'est un journaliste qui raconte. Il a reçu après la mort de la chanteuse un carton qui contient une petite valise. Dedans, un petit fer de lance et "un cahier à couverture bleue cartonnée", qui contient le récit à la première personne de l'enfance de la reine Kitami (Prisca, de son vrai prénom). Il décide de le publier, persuadé qu'il intéressera autant les historiens, ethnologues, psychiatres que les nombreux admirateurs de la chanteuse.

L'esprit de Nyabinghi ne meurt jamais

Prisca est une petite fille "solitaire et rêveuse". Elle poursuit une brillante scolarité sous la protection bienveillante d'un père de la mission catholique voisine et aime vagabonder dans le marais. C'est là, que dans la brume, la jeune fille aperçoit un jour une silhouette. C'est Nyabinghi ("Mort aux Blancs"), un esprit ancestral très puissant, dont on ne veut plus parler sur cette terre colonisée et christianisée par les Blancs. Mais Nyabinghi ne meurt jamais. Plus tard, le chant de Prisca dans la chorale du père Martin prend des allures de transe, puis la jeune fille soigne son père mourant après une nuit passée dans les marais et les femmes du village viennent la voir pour favoriser leur fertilité.

Plus tard, elle fait partie des 10% de Tutsis autorisés par les Hutus à poursuivre leur scolarité au lycée. Quand vient le moment d'entrer à l'université, on lui signifie que "la République n'a pas besoin de Tutsis femmes savantes" et qu'elle aura le privilège d'épouser un dignitaire hutu. La jeune fille, acculée, profite donc du passage près de chez elle d'un groupe de tambourinaires rastas venu de New York pour s'enfuir, après avoir récupéré le tambour sacré "Ruguina". Elle prend le nom de Kitami et entame sa vie de chanteuse rasta au rythme des tambours jamaïcains, guadeloupéens et rwandais.

Un conte envoûtant pour pénétrer l'âme africaine

Survivante du génocide, Scholastique Mukasonga avait jusqu'ici écrit pour conserver la mémoire de sa famille disparue lors du génocide. Cette fois elle remonte plus loin dans le temps, et c'est dans le passé de son pays qu'elle plonge, un passé écrasé par la colonisation, la christianisation. Et c'est le tambour qui fait sonner ce cœur. Interdits au Rwanda, les tambours font battre le cœur de l'Afrique dans les Caraïbes, en Guadeloupe, à la Jamaïque (les tambours y ont été baptisés "Nyabinghi") ou aux Etats-Unis. Le tambour, symbole de puissance de résistance et d'insoumission, relie les exilés à leur terre.

A travers cette histoire, racontée comme un conte, la romancière nous fait pénétrer au cœur de l'âme africaine, ses racines, ses errances et sa persistance dans l'espace et dans le temps, malgré les exils, l'esclavage, la colonisation. Elle est toujours là, de Kigali à Kingston, de New York à la Guadeloupe, prête à jaillir quand les tambourinaires percutent les "Kas" ou les "Nyabinghis", et quand la voix de Kitami envoûte les foules…

La plume de Scholastique Mukasonga, lyrique et puissante, dirige de main de maître cette mélopée, et donne à son roman un souffle qui nous emporte.
 
Coeur tambour Scholastique Mukasonga (Gallimard - 176 pages - 16,50 euros)

Extrait
"Personne ne savait plus trop qui était cette présumée princesse africaine appelée Nyabinghi. Son nom était venu s’échouer sur les plages de la Jamaïque en d’étranges circonstances. Le 12 décembre 1935, peu de temps avant l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie fasciste, paraissait dans le journal Jamaïca Times un article intitulé « Une société secrète pour détruire les Blancs ». Un journaliste italien qui signait du nom de Frederico Philos, s’inspirant manifestement des Protocoles de Sion, révélait qu’à Moscou Hailé Sélassié avait pris la tête d’une société secrète dont le but affiché était d’éradiquer la race blanche. Vingt millions de nègres, au nom d’une mystérieuse reine appelée « Nya-Binghi », allaient déferler sur l’Europe et l’Amérique, « Nya-Binghi » signifiant « mort aux Blancs ». Les rastas qui adoptèrent le nom de nyabinghi n’avaient rien de sanguinaire et, dans la torpeur bienheureuse de l’herbe sacrée, ne songeaient nullement à massacrer quiconque. Les tambours suffisaient à leur rébellion et la reine Nyabinghi flottait vaporeuse et inaccessible au-dessus des volutes qui montaient des chalices."

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