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"Comme des bêtes" : avec son nouveau roman, Violaine Bérot revisite avec force le mythe de l'enfant sauvage

Avec "Comme des bêtes" (Buchet-Chastel), la romancière Violaine Bérot signe un roman très fort sur la violence institutionnelle et sur la place de l'homme dans la nature.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Portrait de la romancière Violaine Bérot en janvier 2020 (STEPHANE LESSIEUX PHOTOGRAPHIE)

Autrefois informaticienne avant de devenir éleveuse de chèvres, puis écrivaine à plein temps, Violaine Bérot nous livre un roman ancré dans son pays, les Pyrénées. Comme des bêtes, paru aux éditions Buchet-Chastel le 1er avril, revisite dans un récit polyphonique la question de la différence, et les thèmes de l'enfant sauvage et du rapport de l'homme avec la nature.

L'histoire : A l'écart d'un village isolé des Pyrénées, vit une femme, Mariette, avec son fils, que les villageois appellent "l'ours". C'est une tradition dans la vallée de baptiser ainsi les enfants sans père. Ils ne sont pas d'ici. Et celui-là, en plus, ne parle pas, il sait "seulement grogner". L'enfant craint la compagnie des hommes mais a un don pour communiquer avec les bêtes, et les soigner. "Une puissance terrifiante, une douceur exceptionnelle", se souvient un camarade de classe.

La mère et le fils vivent depuis plusieurs années à l'écart du village sans incidents et sans histoires sinon l'éviction de "l'ours" après que la maîtresse ait proposé à la mère de placer son fils dans un établissement spécialisé. "L'ours" grandit loin de la société des hommes. Devenu adulte, il a pris ses quartiers dans une grotte logée dans des parois rocheuses à l'à pic du village. La légende raconte que les fées y cachaient autrefois des bébés volés. Si la vie de "l'ours" se déroule sans bruit, en marge du village et de la société des hommes, ces derniers profitent sans le savoir de ses talents pour soigner leurs bêtes. Certaines choses doivent rester secrètes.

Un jour, des randonneurs aperçoivent le colosse jouant dans un pré avec une petite fille toute nue. Cet incident déclenche une série d'événements qui vont bouleverser le fragile équilibre mis en place par Mariette pour permettre à son fils de vivre sa vie loin des institutions et de l'enfermement.

Polyphonie

Comme un chant polyphonique, l'histoire nous est racontée par différentes voix, à la première personne. La maîtresse d'école de classe unique du village, le facteur, l'ancien camarade de classe, les voisins, un chasseur, un ami… Les témoins se succèdent pour répondre aux questions de la police. Au fil de leurs témoignages, c'est le portrait d'un être étrange et attachant, autant que la géographie sociale d'un pays, qui se dessine, un pays "où on se côtoie, on s'entraide, on se connaît les uns les autres, même si ça change beaucoup." 

"Ça change, ça vient, ça part, ça arrive de tous les milieux. Des fils de bourges et d'autres qui viennent de la rue. Ici tout est mélangé. Il peut arriver n'importe qui. Avec n'importe quel parcours de vie. A la fin d'ailleurs on ne sait plus qui vient d'où."

"Comme des bêtes"

page 57

On entend aussi la mère, Mariette, celle qui connaît son fils, et ses fragilités, celle qui a trouvé un endroit pour lui, un endroit qui lui permet de vivre librement. Mariette se fait l'avocate de son garçon et de son droit à une vie différente, à une vie libre, une vie "sauvage", en harmonie avec la nature, loin des hommes et des murs derrières lesquels la société enferme les êtres comme lui. Le chant des fées, qui rythme le récit, offre une voix aux femmes à qui viennent des bébés dont elles ne peuvent s'occuper, et qui préfèrent les confier aux bons soins des fées.

L'écriture puise dans l'oralité, à la manière des contes anciens, et le travail polyphonique est très réussi, chaque personnage avec son "je" et son parler singulier, comme des ruisseaux venant alimenter un fleuve, pour raconter ce qui jusque-là était tu, le chant aérien et poétique des fées en surplomb, comme un échos se cognant ou caressant leurs mots. La société, ici l'inquisitrice, reste en revanche de bout en bout silencieuse, ses questions en creux, totalement désincarnée, déshumanisée. Le regard ainsi démultiplié forme un récit d'autant plus bouleversant qu'il interroge et ébranle une communauté toute entière.

L'enfant sauvage

Violaine Bérot revisite avec force le thème de "l'enfant sauvage" et questionne avec ce roman intense, évoquant l'œuvre de Jean Giono, la place de l'humain dans le monde et dans la nature. Qui est l'homme, qui est la bête ? L'homme est-il si différent de la bête ?

La romancière se penche ici particulièrement sur le destin d'un être "différent", plus proche des bêtes que des hommes, pour nous interroger sur cette question. Un être pour qui trouver sa place sur cette terre sans se heurter à la violence institutionnelle reste une chimère, y compris quand il a pour lui la détermination et l'amour d'une Mariette, la bienveillance d'une communauté humaine, la puissance de la nature et même un coup de pouce des fées. L'ultime témoignage, dernier coup de poing avant l'issue fatale, boucle la boucle de cette tragédie aux accents universels.   

Cuverture de "Comme des bêtes" de Violaine Bérot, avril 2021 (BUCHET CHASTEL)

"Comme des bêtes", de Violaine Berot (Buchet-Chastel, 160 pages, 14 €)  

Extrait :

"Nous
les fées
le voyons
le monde d'en bas
entre quatre murs
enfermer
ceux qui vont de travers
les égarés.

Entre quatre murs
enfermer
les géants.

Loin des torrents
des forêts
des bêtes
loin des grottes.

Entre quatre murs
enfermer
les géants égarés.

Les enfermer
pour leur bien
disent-ils."

("Comme des bêtes", page 47)

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