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"Danser les ombres", hommage lyrique de Laurent Gaudé à la terre d'Haïti
C'était il y a cinq ans, le 12 janvier 2010, un séisme dévastait Haïti. 300 000 morts, des milliers de blessés, de disparus, et un pays en miettes. Laurent Gaudé, Prix Goncourt 2004, revient sur la catastrophe avec "Danser les ombres" (Acte Sud), un roman habité par la puissance et les esprits d'Haïti.
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L'histoire : Nine a disparu. La plus jeune des trois sœurs. "Nine, la sœur mangée par les ombres, celle qui déparle la nuit en roulant des yeux fous et lance aux hommes, dans les rues de Jacmel, des paroles obscènes, aguicheuses, s'offrant au regard avec des poses lascives, Nine, la plus, belle des trois…".
Lucine a quitté Port au Prince cinq ans plus tôt pour élever avec la sœur aînée Thérèse les deux enfants de Nine, abandonnant sa vie d'étudiante, les combats, les manifestations de Port-au-Prince pour revenir à Jacmel. Maintenant Nine est morte et Lucine revient à Port-au-Prince à Pétion-ville, le quartier des riches, pour annoncer la mort de Nine à Armand Calé, le père du premier enfant de Nine. Elle retrouve la ville et sait très vite qu'elle ne retournera pas à Jacmel. Elle laissera Thérèse s'occuper des enfants.
Le rêve d'une communauté fraternelle
Accueillie chez Fessou, une ancienne maison close tenue par le vieux Tess, où se retrouvent toutes les semaines Saul, le "faux médecin", Domitien Magloire, dit Pabava, le mutique, Jasmin Lajoie, l'infatigable séducteur, Facteur Sénèque, Ti Sourire, une jeune fille apprentie infirmière. Ils jouent aux dominos, devisent, jouissent de la vie et des bonheurs de l'amitié, comme si leurs rendez-vous hebdomadaires devaient durer toujours. Une communauté fraternelle. Fessou, "un vieux rêve", un lieu où "des hommes de tout âge, de toute classe sociale, réunis dans un établissement qui ne faisait aucune distinction entre les uns et les autres et offrait simplement à tous le temps du partage et de la conversation."
Dans les rues de Port-au-Prince rôde aussi Firmin, son coq et ses démons. Derrière Firmin se cache Matrak, le bien-nommé, celui qui frappait dans les caves. Et Lily, la petite fille riche malade et légère comme une plume, qui veut sortir de la bulle dans laquelle on l'a enfermée pour la protéger, mais qui veut respirer la vie des rues de Port-au-Prince. Il y a aussi Viviane, incarnation du vieux colonialisme, de la société riche de Port-au-Prince. Petite femme inflexible, ses secrets, ses rancœurs et son "vieux cœur de régente d'empire" bien corsetés dans la belle maison Kénol. C'est dans cette maison que Lucine retrouve Saul. Elle est venue rendre visite à la vieille Viviane, la mère de son amie Émeline, soeur de Saul, fille légitime, elle, assassinée après le départ d'Aristide.
Le séisme à l'épicentre du roman
Lucine reconnait Saul. Il était là lors des grandes manifestations, encore jeune, étudiant en médecine promis à de grandes destinées, ce "fils de la boniche troussée à la va-vite", accepté par Viviane sous la pression du mari et des deux enfants légitimes. Saul et Lucine se retrouvent. "Elle serait à Saul et il serait à Lucine". Lucine retrouve le bonheur. Saul la force. "Tout pouvait reprendre". Mais c'est ce moment-là que la terre choisit pour trembler. 12 janvier 2010. "Durant trente-cinq secondes qui sont trente-cinq années…" et qui changent tout.
Avec "Danser les ombres", Laurent Gaudé foule la terre et l'esprit d'Haïti. Le tremblement de terre à l'épicentre du récit (il arrive pile au milieu du roman), la terre qui s'ouvre et laisse entrer les morts dans le monde des vivants. Vient ensuite le temps de "fermer le monde", de chasser les morts. De faire le deuil. Car il n'y a pas de vie sans désir et les morts n'en ont plus", dit Dame Petite à ceux qui se sont réunis dans la maison Kénol pour se soigner. "Nous allons danser les ombres. Et le monde se refermera", dit la vieille dame, qui prend avec Prophète Coicou la tête de la marche qui sèmera les morts.
Superbement écrit, ce roman de Laurent Gaudé fait basculer le lecteur dans un songe habité par le souffle d'Haïti, animé par sa force vitale, ses esprits Vaudous, et l'ombre de la mort, qui rôde jamais bien loin. "Danser les ombres" est un grand roman lyrique, qui emporte le lecteur dans sa danse. Un très bel hommage au peuple et à la terre Haïtienne, cinq ans après le séisme qui l'a ravagé. Danser les ombres Laurent Gaudé (Actes Sud – 250 pages – 19,80 euros)
Extrait :
"La jeunesse d'Haïti. Elle était belle. Les mouvements brusques. L'élégance du port de tête. Les éclats de voix comme des pétards dans la foule. Et les grands yeux pour embrasser le monde, le comprendre, le changer, y trouver sa place."
Lucine a quitté Port au Prince cinq ans plus tôt pour élever avec la sœur aînée Thérèse les deux enfants de Nine, abandonnant sa vie d'étudiante, les combats, les manifestations de Port-au-Prince pour revenir à Jacmel. Maintenant Nine est morte et Lucine revient à Port-au-Prince à Pétion-ville, le quartier des riches, pour annoncer la mort de Nine à Armand Calé, le père du premier enfant de Nine. Elle retrouve la ville et sait très vite qu'elle ne retournera pas à Jacmel. Elle laissera Thérèse s'occuper des enfants.
Le rêve d'une communauté fraternelle
Accueillie chez Fessou, une ancienne maison close tenue par le vieux Tess, où se retrouvent toutes les semaines Saul, le "faux médecin", Domitien Magloire, dit Pabava, le mutique, Jasmin Lajoie, l'infatigable séducteur, Facteur Sénèque, Ti Sourire, une jeune fille apprentie infirmière. Ils jouent aux dominos, devisent, jouissent de la vie et des bonheurs de l'amitié, comme si leurs rendez-vous hebdomadaires devaient durer toujours. Une communauté fraternelle. Fessou, "un vieux rêve", un lieu où "des hommes de tout âge, de toute classe sociale, réunis dans un établissement qui ne faisait aucune distinction entre les uns et les autres et offrait simplement à tous le temps du partage et de la conversation."
Dans les rues de Port-au-Prince rôde aussi Firmin, son coq et ses démons. Derrière Firmin se cache Matrak, le bien-nommé, celui qui frappait dans les caves. Et Lily, la petite fille riche malade et légère comme une plume, qui veut sortir de la bulle dans laquelle on l'a enfermée pour la protéger, mais qui veut respirer la vie des rues de Port-au-Prince. Il y a aussi Viviane, incarnation du vieux colonialisme, de la société riche de Port-au-Prince. Petite femme inflexible, ses secrets, ses rancœurs et son "vieux cœur de régente d'empire" bien corsetés dans la belle maison Kénol. C'est dans cette maison que Lucine retrouve Saul. Elle est venue rendre visite à la vieille Viviane, la mère de son amie Émeline, soeur de Saul, fille légitime, elle, assassinée après le départ d'Aristide.
Le séisme à l'épicentre du roman
Lucine reconnait Saul. Il était là lors des grandes manifestations, encore jeune, étudiant en médecine promis à de grandes destinées, ce "fils de la boniche troussée à la va-vite", accepté par Viviane sous la pression du mari et des deux enfants légitimes. Saul et Lucine se retrouvent. "Elle serait à Saul et il serait à Lucine". Lucine retrouve le bonheur. Saul la force. "Tout pouvait reprendre". Mais c'est ce moment-là que la terre choisit pour trembler. 12 janvier 2010. "Durant trente-cinq secondes qui sont trente-cinq années…" et qui changent tout.
Avec "Danser les ombres", Laurent Gaudé foule la terre et l'esprit d'Haïti. Le tremblement de terre à l'épicentre du récit (il arrive pile au milieu du roman), la terre qui s'ouvre et laisse entrer les morts dans le monde des vivants. Vient ensuite le temps de "fermer le monde", de chasser les morts. De faire le deuil. Car il n'y a pas de vie sans désir et les morts n'en ont plus", dit Dame Petite à ceux qui se sont réunis dans la maison Kénol pour se soigner. "Nous allons danser les ombres. Et le monde se refermera", dit la vieille dame, qui prend avec Prophète Coicou la tête de la marche qui sèmera les morts.
Superbement écrit, ce roman de Laurent Gaudé fait basculer le lecteur dans un songe habité par le souffle d'Haïti, animé par sa force vitale, ses esprits Vaudous, et l'ombre de la mort, qui rôde jamais bien loin. "Danser les ombres" est un grand roman lyrique, qui emporte le lecteur dans sa danse. Un très bel hommage au peuple et à la terre Haïtienne, cinq ans après le séisme qui l'a ravagé. Danser les ombres Laurent Gaudé (Actes Sud – 250 pages – 19,80 euros)
Extrait :
"La jeunesse d'Haïti. Elle était belle. Les mouvements brusques. L'élégance du port de tête. Les éclats de voix comme des pétards dans la foule. Et les grands yeux pour embrasser le monde, le comprendre, le changer, y trouver sa place."
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