David Grossman: "la société israélienne vit une vie de violence et de brutalité"
L'humoriste Dovalé, personnage principal d'"Un cheval entre dans un bar" (Seuil), "a été contraint de se couvrir d'une armure de vulgarité, de grossièreté", explique d'une voix douce l'écrivain rencontré à Paris.
Avant que l'entretien commence, David Grossman s'enquiert du prix Goncourt. "Est-ce que mon ami Boualem Sansal a été retenu par le jury?" demande-t-il. L'écrivain israélien et l'écrivain francophone algérien se connaissent et s'estiment depuis longtemps. lls militent tous deux pour la paix et la tolérance.
"Un cheval entre dans un bar", le début d'une blague dont le lecteur ne connaîtra jamais la chute, est le premier roman de l'écrivain israélien depuis le décès de son fils, Uri, mort en 2006 au Liban pendant son service militaire. Après cette tragédie, survenue alors que David Grossman achevait l'écriture d'"Une femme fuyant l'annonce", prix Médicis étranger en 2011, l'écrivain n'avait publié qu'un seul récit sous forme de poème, "Tombé hors du temps".
Ce nouveau roman parle une nouvelle fois de perte et de deuil
Dans "Une femme fuyant l'annonce", une mère partait de chez elle en pensant ainsi conjurer l'annonce de la mort de son fils parti au front. "Un cheval entre dans un bar" évoque, lui, le voyage de Dovalé, adolescent de 14 ans, vers Jérusalem pour assister à l'enterrement d'un de ses parents.C'est Dovalé, devenu un adulte aigri, qui raconte cette histoire. Humoriste sarcastique, il provoque son public, venu au théâtre juste pour rire, et l'entraîne vers ce moment où sa vie a basculé en mêlant à son spectacle minable les souvenirs de sa propre vie.Comme les spectateurs qui assistent à son show, le lecteur est dérouté par les provocations oiseuses de Dovalé. Loin d'inspirer de la compassion, l'humoriste provoque lassitude et dégoût. On rit de ses blagues grasses et on se méprise d'avoir ri.
C'est le cas de l'ancien juge Avishaï, invité par Dovalé à ce spectacle pitoyable. Avishaï a connu Dovalé enfant. Il était là quand on est venu dire à Dovalé qu'un de ses parents était mort sans lui préciser s'il s'agissait de son père ou de sa mère. Avishaï, un des rares copains de Dovalé à l'époque, était là et n'a rien fait. En faisant resurgir le passé, Dovalé va peut-être donner à Avishaï l'occasion d'apporter le réconfort qu'il n'avait pas su offrir une cinquantaine d'années auparavant. En mettant à nu sa blessure, Dovalé va peut-être connaître enfin la paix.
"Ce roman est aussi une histoire politique"
"C'est le grand cadeau de la littérature : offrir une seconde chance", explique David Grossman. "Dans la vie, cela arrive très rarement". L'écrivain compare Dovalé à la société israélienne. "En son cœur, la société israélienne est une société morale, sensible à la douleur, humaniste", soutient l'écrivain. Cependant, ajoute-t-il, "elle vit une vie de violence et de brutalité". "Elle vit une vie en parallèle de son moi véritable", estime Grossman qui cite parmi les maux d'Israël, "la guerre, la violence, l'occupation, le terrorisme"."La violence s'est instillée dans les engrenages intimes de la société", déplore l'écrivain profondément patriote et engagé dans le camp de la paix. Dans le roman de Grossman, les spectateurs quittent la salle à mesure que Dovalé abandonne la grossièreté pour devenir plus intime, plus humain. "Mais certains restent", rétorque Grossman.
"Il y aura toujours ceux qui resteront et qui accepteront d'avoir une responsabilité par rapport à la blessure qu'ils ont vue. Il y aura toujours ceux qui verront cette blessure et se sentiront engagés", insiste-t-il. "De ce point de vue, analyse l'écrivain, ce roman est aussi une histoire politique".
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