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De retour au Japon, Amélie Nothomb s'essaie à "La nostalgie heureuse"
Comme chaque année, la rentrée littéraire de l'automne n'aura pas lieu sans Amélie Nothomb. La romancière publie "La nostalgie heureuse", son 22e roman. Un documentaire tourné au printemps 2013 par France 5 est le prétexte à ce nouveau récit autobiographique, où l'on suit avec tremblements son retour au Japon.
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L'histoire : Amélie Nothomb, romancière très célèbre, retourne au Japon, le pays où elle a vécu les cinq premières années de sa vie. Elle est accompagnée par une équipe de tournage, qui réalise un documentaire : "Amélie Nothomb", une vie entre deux eaux". Lors de ce voyage, la romancière retrouve Nishio-san, sa nounou et Rinri, le fiancé de ses vingt ans. Elle arpente les paysages frappés par le Tsunami et cherche des traces sur les lieux où elle a vécu enfant. Amélie Nothomb se promène sous les cerisiers en fleurs, fait l'expérience du Kenshô ("un commencement gigantesque qui n'en finit pas de débuter") au milieu de la foule du carrefour de Shibuya, et éprouve finalement la joie de retrouver Paris, la ville où "elle a conquis le droit d'habiter". Le livre raconte tout ce que le film ne montre pas, tout ce que les images ne peuvent pas dire : le flot de sentiments contradictoires que ce retour opère en elle, et qui donne ce si beau titre en forme d'oxymore, "La nostalgie heureuse".
Ce 22e roman publié (elle en a écrit 76 en 20 ans, mais n'en publie qu'un sur 3), est un fil tendu entre l'Occident et l'Orient, entre l'Europe et le Japon, entre les deux mondes qui fondent l'œuvre d'Amélie Nothomb, confondue pour partie avec sa vie. Ce n'est sans doute pas un hasard si ce livre trouve sa source dans un voyage, celui d'un retour sur les traces d'une enfance mythologique à jamais disparue, responsable d'une irrémédiable nostalgie (triste celle-là).
"Tout ce que l'on aime devient une fiction"
Comme un funambule donc, Amélie Nothomb pose le pied sur un étroit chemin entre le présent et le passé. L'équilibre est délicat, notre cœur sursaute chaque fois qu'on imagine la chute, mais Amélie Nothomb ne tombe pas. A l'image de ces phrases commencées dans la tragédie et terminées par une blague, elle transporte avec légèreté et gravité son lecteur au dessus du vide, un vide laissé par une enfance envolée, des retrouvailles ultimes, une certaine idée du temps qui passe et ne reviendra pas, et de l'effacement des traces (pas seulement causées par les ravages du tsunami). Amélie Nothomb provoque l'émotion avec élégance.
L'écrivain a grandi en pensant qu'elle était japonaise, mais un jour il faut grandir et ce voyage range le passé dans le présent, sous la forme d'un roman. "Tout ce que l'on aime devient une fiction", voilà peut-être à quoi servent les livres pour ceux qui les écrivent, en offrande à ceux qui les lisent.
Le Nothomb 2013, "La nostalgie heureuse", est un excellent cru, à goûter sans tarder.
La nostalgie heureuse Amélie Nothomb, (Albin Michel – 152 pages – 16,50 euros) Extrait
14H45. Je voudrais être n'importe qui sauf moi. Ce chauffeur de taxi tokyoïte, par exemple. Ce doit être rassurant de porter des gants blancs dans sa voiture et d'être à ce point imperturbable. Sur la banquette arrière, il transporte une Occidentale aux yeux écarquillés qui ressemble à un volatile hypertendu et cela ne l'affecte pas le moins du monde.
C'est Zénon d'Elée qui a raison : le mouvement est impossible. Achille et la tortue, la flèche qui vole : non, ce ne sont pas des sophismes. Même en dehors des heures de pointe, le trafic tokyoïte empêche les véhicules de bouger. Il y a une illusion de circulation, une illusion infime. Je n'arriverai jamais au rendez-vous, retard ou pas retard, parce que le déplacement n'est pas une hypothèse crédible.
C'est encore plus grave : moi non plus je ne suis pas une hypothèse crédible. J'ai tant de preuves de mon inexistence – et elles sont si écrasantes que je ne les exposerai pas : tout le monde serait convaincu. En vérité, dans ce taxi, il n'y a que le chauffeur.
Ce 22e roman publié (elle en a écrit 76 en 20 ans, mais n'en publie qu'un sur 3), est un fil tendu entre l'Occident et l'Orient, entre l'Europe et le Japon, entre les deux mondes qui fondent l'œuvre d'Amélie Nothomb, confondue pour partie avec sa vie. Ce n'est sans doute pas un hasard si ce livre trouve sa source dans un voyage, celui d'un retour sur les traces d'une enfance mythologique à jamais disparue, responsable d'une irrémédiable nostalgie (triste celle-là).
"Tout ce que l'on aime devient une fiction"
Comme un funambule donc, Amélie Nothomb pose le pied sur un étroit chemin entre le présent et le passé. L'équilibre est délicat, notre cœur sursaute chaque fois qu'on imagine la chute, mais Amélie Nothomb ne tombe pas. A l'image de ces phrases commencées dans la tragédie et terminées par une blague, elle transporte avec légèreté et gravité son lecteur au dessus du vide, un vide laissé par une enfance envolée, des retrouvailles ultimes, une certaine idée du temps qui passe et ne reviendra pas, et de l'effacement des traces (pas seulement causées par les ravages du tsunami). Amélie Nothomb provoque l'émotion avec élégance.
L'écrivain a grandi en pensant qu'elle était japonaise, mais un jour il faut grandir et ce voyage range le passé dans le présent, sous la forme d'un roman. "Tout ce que l'on aime devient une fiction", voilà peut-être à quoi servent les livres pour ceux qui les écrivent, en offrande à ceux qui les lisent.
Le Nothomb 2013, "La nostalgie heureuse", est un excellent cru, à goûter sans tarder.
La nostalgie heureuse Amélie Nothomb, (Albin Michel – 152 pages – 16,50 euros) Extrait
14H45. Je voudrais être n'importe qui sauf moi. Ce chauffeur de taxi tokyoïte, par exemple. Ce doit être rassurant de porter des gants blancs dans sa voiture et d'être à ce point imperturbable. Sur la banquette arrière, il transporte une Occidentale aux yeux écarquillés qui ressemble à un volatile hypertendu et cela ne l'affecte pas le moins du monde.
C'est Zénon d'Elée qui a raison : le mouvement est impossible. Achille et la tortue, la flèche qui vole : non, ce ne sont pas des sophismes. Même en dehors des heures de pointe, le trafic tokyoïte empêche les véhicules de bouger. Il y a une illusion de circulation, une illusion infime. Je n'arriverai jamais au rendez-vous, retard ou pas retard, parce que le déplacement n'est pas une hypothèse crédible.
C'est encore plus grave : moi non plus je ne suis pas une hypothèse crédible. J'ai tant de preuves de mon inexistence – et elles sont si écrasantes que je ne les exposerai pas : tout le monde serait convaincu. En vérité, dans ce taxi, il n'y a que le chauffeur.
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