Echenoz,Tatiana de Rosnay, Le Clézio, les nouvelles fleurissent au printemps
"Des nouvelles, ah non, non, non ! Je préfère un roman". Voilà ce que répondent la plupart des clients de Fernando de Barros, libraire chez Tschann à Paris, "un peu comme s'ils n'en avaient pas pour leur argent…" ajoute-t-il en souriant. Plus c'est gros, mieux ça se vend. "On voit bien que les romans de la rentrée ou de l'été qui marchent bien sont des gros romans de 400, 500 et même 600 pages", précise le libraire.
Dans cette prestigieuse librairie parisienne, on défend pourtant les nouvelles comme les romans, "mais c'est plus difficile à vendre", explique Fernando de Barros. "Je ne sais pas, les lecteurs ont une impression d'incomplet. Les nouvelles, c'est souvent plus insolite, les lecteurs se sentent perdus, alors qu'avec un roman, ils sont embarqués", explique le libraire.
Fernando de Barros n'a pas noté de regain d'intérêt pour la nouvelle, à peine un léger frémissement, depuis une dizaine d'années, grâce au succès de la littérature étrangère, où la nouvelle est beaucoup plus valorisée. "Il faudrait réinstaller la nouvelle dans le paysage imaginaire des lecteurs français, pour qu'ils aillent vers ce format, qui n'est pas une sous-littérature. En France, c'est un genre mal considéré, comme la poésie", conclut le libraire.
Le Décameron a lancé la mode
Un genre très ancien, inauguré au XVe siècle par l'Italien Boccace et "Le Décaméron", cent nouvelles écrites entre 1349 et 1353, qui narrent les histoires de 10 jeunes gens fuyant Florence ravagée par la peste, réfugiés à la campagne. Dix protagonistes racontant chacun une histoire par jour pendant dix jours, et voilà la mode des nouvelles lancée.
La nouvelle se développe à la Renaissance et jusqu'au XIXe siècle où elle prend son essor et des formes variées. Tous les grands auteurs s'y sont essayés, de Balzac à Flaubert, en passant par Victor Hugo, Stendhal Mérimée, pour les Français, Tchekhov, Goethe, Poe, Melville, Gogol ailleurs dans le monde.
Au XXe siècle, même si la nouvelle perd un peu de son attrait, de nombreux auteurs en écrivent : Sartre, Robbe-Grillet, Sarraute, certains s'en faisant même une spécialité, comme Raymond Carver, considéré comme un maître du genre ou la canadienne Alice Munro, Prix Nobel 2013.
"Plus difficile à défendre que le roman"
Du côté des éditeurs, on se défend de ne pas vouloir en publier. "C'est un mystère, j'adore les nouvelles, j'en écris moi-même, j'en lis beaucoup, c'est un genre mieux adapté à l'époque et aux modes de vie actuelle et pourtant, ce sont les gros romans qui marchent bien", confie Jean-Marie Laclavetine, écrivain et éditeur chez Gallimard.
"Les gens disent qu'ils adorent les nouvelles, mais quand il agit d'aller les acheter en librairie, il n'y a plus personne. Même pour un auteur connu, un recueil de nouvelles se vend deux fois moins bien en librairie qu'un roman", ajoute-t-il.
"Quand on édite un auteur inconnu pour la première fois, on préfère publier un roman. Cela arrive que l'on publie d'abord des nouvelles, récemment Virginie Bouyx, par exemple ("Les fleuristes"), mais nous savons que c'est un genre peu apprécié du public. Donc même si ce n'est pas un frein à la publication parce que le critère commercial n'est pas prépondérant, on attend plutôt des romans. Disons que c'est plus facile à défendre", explique-t-il.
L'éditrice Héloïse d'Ormesson ne s'interdit pas non plus d'en publier, mais reconnait aussi que ce n'est pas un genre "facile". "Parfois les nouvelles se vendent très bien. Il y a quelques années, j'ai publié "Aime-moi por favor !", des nouvelles de l'Espagnole Lucía Etxebarria, qui s'est très bien vendu, 12 000 exemplaires il me semble. Donc ce n'est pas nécessairement rédhibitoire et ça ne me fait pas peur de publier dans ce format, que l'auteur soit connu ou pas, mais ça ne marche pas toujours. J'ai publié par exemple les nouvelles d'un Américain, "A l'est de l'Ouest", de Miroslav Penkov et ça n'a pas marché du tout", explique l'éditrice.
Les raisons du désamour
"C'est un format qui a ses lettres de noblesse aux Etats-Unis. Il y a une tradition de publication dans les revues américaines, comme dans The New Yorker et du coup les lecteurs anglo-saxons ont l'habitude d'en lire. En France, comme les lecteurs ne sont pas habitués, ils ne comprennent pas le charme de ce format, n'aiment pas ce qu'ils considèrent comme une lecture fragmentée, alors qu'un bon recueil de nouvelles dégage une ambiance générale. C'est un tout cohérent", explique Héloïse d'Ormesson.
"Entre les deux guerres, de nombreux écrivains vendaient leurs nouvelles à des revues. Aujourd'hui, il n'y a plus en France de revues qui financent les nouvelles, ou très peu. Le Monde, de temps en temps ou le Magazine d'Air France ou les magazines féminins l'été, mais ça reste très exceptionnel, et cela ne suffit pas à faire vivre les auteurs. Ils ont plus intérêt à s'orienter vers les romans, qui leur donnent des possibilités de négociation avec les éditeurs. Aujourd'hui ça ne peut plus être un mode de subsistance pour les auteurs et cela a sans doute contribué au déclin du genre", souligne Jean-Marie Laclavetine.
Le roman a tué la nouvelle
Du coup les éditeurs reçoivent peu de recueils. "C'est marginal par rapport à la quantité de manuscrits que nous recevons", souligne Héloïse d'Ormesson. "Une nouvelle n'est pas un roman. C'est plus difficile à réussir. Et puis un roman qui est intéressant mais qui a des faiblesses, on peut le retravailler. On ne va pas retravailler toutes les nouvelles. Il y a des contraintes liées à la distance, qui ne sont pas si faciles à maîtriser. Des vrais bons nouvellistes il n'y en a pas tant que ça. Aux Etats-Unis ou dans les pays anglo-saxons, il y a des nouvellistes, dont ce format constitue l'essentiel de l'œuvre, comme Alice Munro.
"Je pense que cela à voir avec la culture", poursuit Jean-Marie Laclavetine. "En France, du côté des auteurs aussi, la nouvelle est considérée comme un genre secondaire. On estime que c'est moins important qu'un roman". L'immense qualité du roman français, voilà qui aurait tué la nouvelle... "La France est le pays du roman. Le génie littéraire s'est exprimé à travers le roman. Balzac, Proust… Tous nos grands écrivains à part Maupassant, sont romanciers et se sont exprimés à travers le roman. Et cela s'est fait dans une période où la France était un phare de la culture mondiale. Cela s'est traduit par la production de romans majeurs, qui ont influencé les cultures du monde entier, ajoute-t-il.
A la différence de la France, d'autres pays vont s'exprimer en poésies ou en nouvelles. "Ça compte beaucoup l'imaginaire, l'esthétique dans lesquels on grandit. Quand on a été bercé dans la littérature de Tchekhov ou de Henri James, on considère forcément la nouvelle comme un genre majeur. En France, où c'est le roman qui a produit tous nos grands chefs d'œuvre littéraires, c'était difficile pour la nouvelle de se faire une place! " ajoute Jean-Marie Laclavetine.
"Si les auteurs populaires s'y mettent, cela peut changer la donne"
Quelques auteurs français s'y essaient, mais le plus souvent comme une activité secondaire. Ces derniers mois ont été marqués par une série de publications de recueils par des romanciers reconnus, populaires, habitués ou pas à ce genre, et dans des registres très différents, d'Anna Gavalda à Jean Echenoz, en passant par J. M. G. Le Clézio, Tatiana de Rosnay ou Agnès Desarthe.
Mais le genre ne décolle pas vraiment en France. "Certes il y a eu ces dernier temps publication de nouvelles d'Echenoz, Le Clezio… Mais cela n'est pas très représentatif. Le Clézio a toujours écrit des nouvelles, et il ne faut pas oublier qu'il est prix Nobel… et des gens comme Echenoz peuvent écrire sous toutes les formes. Avec ces auteurs, on n'achète pas des nouvelles, on achète un nom", explique Jean-Marie Laclavetine. Chez Héloïse d'Ormesson, on se félicite du bon démarrage des nouvelles de Tatiana de Rosnay. "Si les auteurs très populaires s'y mettent, comme Douglas Kennedy ou Tatiana de Rosnay et que ces recueils marchent bien, ça donnera des idées. Ça pourrait changer la donne", espère Héloïse d'Ormesson.
Les plaisirs de la concision
Du côté des auteurs, le genre procure des plaisirs d'écriture que le roman n'offre pas. "Cela fait plusieurs années que j'écris des nouvelles. Jusqu'à aujourd'hui, elles étaient liées à des commandes de magazines. L'idée d'en faire un recueil est parti du plaisir que j'éprouvais à chaque fois que je me confrontais à cette forme, à l'envie d'initier moi-même le mouvement et de profiter de cette liberté qu'offre, paradoxalement, la concision", confie Agnès Desarthe, dont le recueil "Ce qui est arrivé aux Kempinski" vient d'être publié aux éditions de l'Olivier.
"C'est un exercice qui me plaît beaucoup. Pendant l'écriture d'un roman, j'écris des nouvelles. C'est un peu comme une petite récréation", explique de son côté Tatiana de Rosnay. "C'est moins prise de tête qu'un roman", ajoute-t-elle.
"C'est différent, comme un sprint diffère d'une course de fond. On ne gère pas le temps de la même façon, ni l'énergie. L'impulsion de départ à beaucoup plus d'impact", estime quant à elle Agnès Desarthe. "Une nouvelle, on la tient au creux de la paume, on la voit de la tête à la queue, alors qu'un roman, on le traine, il pèse, on sait à peine où il commence et rarement où il finit", poursuit-elle. "Je n'osais pas écrire un roman, à cause de la distance. Ça me donnait le vertige", confie pour sa part Jean-Paul Didierlaurent. Cet auteur d'un premier roman à 52 ans ("Le liseur du 6h27", Au diable Vauvert) n'avait jusque-là écrit que des nouvelles. "La nouvelle n'est pas un art mineur, moins bien que le roman. Dire ça, c'est comme si on voulait comparer le ski de fonds et le ski alpin" assure le romancier vosgien.
Les contraintes et les codes
L'écriture de la nouvelle est un art, "avec ses propres codes et une autre distance que celle du roman", souligne Héloïse d'Ormesson. "Contrairement à ce que l'on pourrait croire, réussir un bon recueil de nouvelles, c'est très difficile. Un bon recueil de nouvelles, ce n'est pas une somme de petites histoires jetées les unes derrière les autres. Il faut qu'il y ait une cohérence interne. Il faut que chaque nouvelle soit bonne et qu'elles soient bonnes collectivement", précise l'éditrice.
"Cela ne s'écrit pas à la légère. Il faut savoir construire. Dans un roman on peut installer un personnage sur plusieurs centaines de pages. Là, dans la nouvelle, on ne peut pas. Il faut happer l'attention tout de suite, et maintenir le lecteur dans un rythme jusqu'à la chute", insiste Tatiana de Rosnay. "C'est comme un mini scénario. Les nouvelles c'est un timing, un enchaînement. Ca a l'air d'être du hasard mais pas du tout. Il faut savoir exactement à quelle heure va passer le train au moment du changement d'aiguillage. C'est une écriture très précise. On ne peut pas laisser l'écriture d'une nouvelle au hasard", explique Tatiana de Rosnay. Agnès Desarthe, écrivain touche à tout, préfère le format court pour servir les idées. "Le roman n'est pas la terre d'accueil idéale de l'idée. Il la mâchonne, la dénature. Ou bien c'est l'inverse, l'idée est trop voyante et tue le roman. Avec les contes pour enfants, ou les nouvelles, on ne court pas ce risque, peut-être à cause de l'impact de l'élixir. L'idée ne perd pas de sa puissance au fil de l'écriture, on s'en amuse, on la fait miroiter, on ne l'épuise pas. La modestie de la forme permet d'échapper à la leçon, au dogmatisme, qui sont les pires ennemis de la fiction", dit-elle.
Des nouvelles "au sommet de la littérature mondiale"
"J'ai toujours lu beaucoup de nouvelles. Je cite en vrac : Tolstoï, Karen Blixen, Isaac B. Singer, Flannery O'Connor, Virginia Woolf, Stefan Zweig, JD Salinger, Maupassant, Ray Carver... j'en oublie mais en écrivant chacun de ces noms, je tremble d'impatience et d'envie d'aller relire ces histoires qui font partie de moi au même titre que mes propres souvenirs", assure de son côté Agnès Desarthe.
"Je regrette qu'on n'accorde pas à la nouvelle la même valeur littéraire qu'au roman. C'est dommage, parce que c'est une très grande forme littéraire. Les nouvelles de Tchekhov sont à placer au sommet de la meilleure littérature mondiale de tous les temps, par leur profondeur, leur simplicité, leur humanité", conclut Jean-Marie Laclavetine.
A LIRE
Les incontournables (dans le désordre et non-exhaustif)
Les nouvelles d'Anton Tchekhov, Zola, Flaubert, Borges, Raymond Carver, Stephan Zweig, Calvino, JD Salinger, Guy de Maupassant, Tourgueniev, Virginia Woolf, Gogol, Poe, Cortazar, Alice Munro, Annie Saumont
Les nouvelles les plus fraîches (pas exhaustif non plus)
"Tempête" Deux novellas" J. M. G. Le Clézio (Gallimard - 232 pages - 19,50 euros)
"Caprice de la reine" Jean Echenoz (Editions de Minuit – 128 pages – 13 euros).
"La Vie en mieux", Anna Gavalda, (Le Dilettante - 286 p -17 euros)
"Son carnet rouge" Tatiana de Rosnay (Héloïse d'Ormesson - 192 pages - 17 euros).
"Villes chinoises", Virginie Bouyx (Gallimard – 220 pages 18,90 euros)
"Obsessions", Jean-Jacques Schuhl (L'infini – 147 pages – 15,90 euros)
"Ce qui est arrivé aux Kempinski" Agnès Desarthe (L'Olivier – 204 pages – 17,50 euros).
"Murmurer à l’oreille des femmes" de Douglas Kennedy (Belfond – 264 pages - 21,00 euros)
Des nouvelles rééditées récemment (idem)
"Une petite femme" Romain Gary (Editions de l'Herne – 221 pages – 15 euros)
"Pages inespérées" Julio Cortazar (Gallimard – 144 pages – 13,50 euros).
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