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"Faire et refaire" et "Kaléidoscope" : deux livres et une vision de l'architecture, par Paul Andreu, bâtisseur de l'aéroport de Roissy et de l'opéra de Pékin

Ces deux livres dévoilent la vision de l'architecture et le regard singulier sur le monde contemporain de Paul Andreu, disparu en 2018, bâtisseur de grands projets comme l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle ou l'opéra de Pékin. Cette double publication dessine en filigrane le portrait d'un artiste, d'un écrivain, d'un peintre, d'un homme connecté au monde sensible et préoccupé toute sa carrière de faire advenir dans sa pratique, quelle qu'elle soit, la beauté. 

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
L'architecte Paul Andreu, et les couvertures de "Kaléidoscope", et "Faire et refaire", Alma éditions 2021 (@Paul Maurer)

Kaléidoscope, un roman, et Faire et refaire, un essai qui rassemble des textes sélectionnés parmi les nombreux écrits de l'architecte Paul Andreu au cours de sa carrière, sont publiés aux éditions Alma le 1er avril 2021. C'est une vision de l'architecture et plus largement un certain rapport à l'art, à la création et à la vie, que dévoilent ces deux livres de l'architecte, disparu en 2018.

"Je voulais être physicien, je suis devenu architecte, un peu par accident", confiait Paul Andreu en 2014 dans un entretien à franceinfo à l'occasion de la sortie de son livre Archi-mémoire, entre l'art et la science, la création (Odile Jacob). Né en 1938, d'abord diplômé de l'école Polytechnique, puis des Ponts et chaussées, Paul Andreu a ensuite étudié l'architecture. Toute sa vie, il s'est ainsi tenu au carrefour de la science et de l'art, l'architecture au centre.

Pour ce créateur polymorphe, architecte, dessinateur, peintre, "l'écriture a toujours accompagné la réflexion comme la création", rappelle Nadine Eghels en introduction de Faire et refaire. "Quand il ne dessinait pas, ne peignait pas, n'élaborait pas de projet de bâtiment, ne concevait pas une structure ou n'étudiait pas un matériau … Paul écrivait", confie celle qui partageait la vie de l'architecte. C'est la raison pour laquelle elle a décidé avec les éditions Alma de publier dans un recueil cette série de textes d'origines diverses, introductions, conférences, présentations de projets, préfaces… écrits tout au long de sa vie, ainsi qu'un roman, Kaléidoscope, achevé juste avant sa mort en 2018.

"L'expression d'un rêve"

Le petit texte Faire et refaire, écrit pour la revue du TNP de Villeurbanne en 2011 ouvre le recueil et lui a donné son titre. Il annonce la couleur : "Laissons là refaire. Recommencer c'est beaucoup mieux. D'abord c'est un mot assez long pour ne pas se prêter à la sécheresse des reproches ou la violence des insultes. Ce mot qui prend son temps en donne. Pas de panique. Si on a échoué, il offre une nouvelle chance, une chance complète, toute neuve."

Pendant trente ans, Paul Andreu a construit des aéroports, le premier, l'aérogare 1 Roissy Charles de Gaulle, achevée en 1974, alors qu'il était âgé d'à peine trente ans. "Durant ces trente ans j'ai acquis des connaissances, bien sûr, quelques certitudes. J'ai surtout appris à travailler avec les autres", explique-t-il lors de la présentation de son projet d'aéroport pour Shanghai en 1996.

Aéroport de Shanghai, Chine, dessiné par l'architecte Paul Andreu, 26 décembre 2003 (FRUMM JOHN / HEMIS.FR)

"Un aéroport, c'est un bâtiment fonctionnel. C'est aussi l'expression d'un rêve. C'est aussi un symbole", souligne l'architecte, relevant au passage les limites du fonctionnalisme extrême en architecture.

"Les oiseaux quittent le sol comme les avions, avec la même élégance. Leur vol marque les heures du matin ou du soir, les saisons. Les oiseaux sont là pour rappeler que voler, c'est le rêve de toujours de l'humanité. Ils sont aussi là pour parler de la nature"

Paul Andreu

"Faire et refaire"

Lieu "technique par excellence", l'aéroport est aussi le lieu de réconciliation entre la technique et la nature, tous deux "nécessaires à l'homme", estime-t-il.Une réconciliation qui doit "devenir un des thèmes centraux de la création architecturale dans les années à venir", insiste-t-il un an plus tard dans la postface du livre Discovery of Universal Space (Arca Edizionn, 1997). Cette préoccupation de la nature, du paysage, de la circulation entre technique et nature, occupe la pensée de l'architecte et accompagne chacun de ses projets. "Réfléchir sur la nature et sur la vie, c'est apprendre beaucoup sur la technique et la faire progresser".

"Retrouver le rôle social de l'architecture"

Paul Andreu a non seulement construit des aérogares dans le monde entier, de Paris à Shanghai, en passant par Abu Dhabi, Jakarta, ou encore Nice. Mais il a aussi bâti l'Opéra de Pékin, qui a inauguré une longue série de projets en Chine, pays avec lequel il a tissé des liens. En 2006, il se met aussi à écrire, puis à peindre en 2013. Il a également travaillé sur des projets d'urbanisme, comme l'Avenue de France, à Paris, avec un souci constant de placer l'individu au centre de la réflexion.

Opéra de Pékin, conçu par Paul Andreu, 2 mai 2012 (MATTES RENE / HEMIS.FR)

"J'ai toujours pensé que l'espace devait être beau dans ces lieux généreux, simple, de manière à constituer le résonnateur qui est nécessaire à l'esprit de chacun pour trouver son harmonie, qu'il ne devait se faire le messager d'aucune émotion mais au contraire accueillir celles de l'usager et leur permettre de se développer."

Il rappelle la nécessité de "retrouver le rôle social de l'architecture", regrettant que l'ère de la communication ait conduit à la "starisation" des architectes, et met en garde certains commanditaires, grandes firmes désireuses d'instrumentaliser l'édifice : "Ne croyez pas qu'un bâtiment puisse être seulement au service de cette abstraction momentanée que vous appelez votre image, pas plus d'ailleurs qu'au service exclusif de l'architecte qui en a la charge, ou de ceux qui bourdonnent autour de vous comme autour de tous les pouvoirs".

"Un moment d'émotion"

Si le bâtiment ne saurait être limité à "un objet consommable", il doit aussi, outre sa capacité à satisfaire les besoins pour lesquels il a été "voulu, étudié et construit", être porté par la beauté.

"Nous voulions tout en contrôlant le coût, donner un bon service au passager, éviter la fatigue, diminuer les pertes de temps… et puis nous voulions que cela soit agréable - beau - bien qu'à l'époque ce mot fut particulièrement déprécié", dit-il à propos de l'aérogare de Roissy Conférence pour les journées d'études Archimédia, Architecture et communication institutionnelle, en juin 1985. L'architecture, pense-t-il, doit "amener l'émergence d'une vérité le plus souvent humble, que nous reconnaissons dans un moment d'émotion et que, inexplicable et indispensable, nous appelons beauté." 

Dessins, esquisses, Opéra de Pekin, 1999 (Paul Andreu)

Cette nécessité de l'art, formulée et reformulée au fil du temps, est une constante dans la pensée de l'architecte, et structure sa manière d'envisager son travail. "Aujourd'hui je suis prêt à le redire autrement : un bâtiment impropre à sa fonction est une stupidité, un bâtiment qui n'est que fonctionnel est quant à lui une négligence coupable. Nous avons besoin de tout ce que l'art, quel qu'il soit, apporte en allant toujours au-delà de ce qui est utile, voulu, souhaité", dans un texte publié en 2010 à l'occasion du déménagement de son agence, qui l'amène en exhumant ses archives, à revisiter sa carrière d'architecte.

S'il la croit nécessaire, la beauté pour lui ne se calcule pas. "L'important pourrait être davantage de reconnaître la beauté que de la produire ; et il faut accepter qu'il n'y ait pas de règle ou de recette mais seulement du désir. Pour l'architecture, si profondément liée à l'économie, à l'utilité, c'est encore plus difficile, que pour les autres arts, mais aussi nécessaire."

"Un horizon"

Faire et refaire se lit sans être spécialiste avec grand plaisir. La multitude de thèmes abordés dans cette somme de textes courts offre une passionnante réflexion sur l'architecture, et au-delà, sur la création. Si l'architecture y occupe une place centrale, la transversalité de la discipline et la curiosité de son auteur nous embarquent dans toutes sortes de champs de réflexion aussi variés que l'outil informatique, la pratique du dessin, en passant par le paysage, la nature, le théâtre, la poésie, ou encore la communication, nous invitant à méditer sur notre monde, sur la mondialisation, sur l'éclatement des villes, sur le développement durable, ou encore sur le temps, que l'on cherche sans cesse à réduire.

Peinture "18-01-11' (137x69), Paul Andreu (DR)

Ce livre dévoile une vision, celle d'un créateur en perpétuelle recherche, en mouvement, faisant et refaisant sans cesse, concevant l'œuvre architecturale non pas comme l'étendard d'un ego, ou un objet statique, figé à jamais dans le temps, mais comme un objet pensé et conçu comme un "système organique", capable d'"évoluer au fil du temps".

"Un bâtiment n'attend pas seulement d'être vu ou entendu comme d'autres œuvres d'art, il attend d'être habité, c’est-à-dire, et de manière toujours changeante, achevé", souligne-t-il, envisageant toujours l'architecture comme une matière vivante à travailler, comme une question plutôt que comme une réponse. 

"L'architecture n'a été pour moi ni un métier ni une occupation. Un horizon plutôt, comme tous les arts le sont. Un horizon qui parfois disparaît dans la brume des difficultés ou derrière la masse des obstacles de toutes nature, mais se dégage toujours à nouveau, lumineux et inaccessible".

Paul Andreu

"Faire et refaire"

"Kaléidoscope"

Comme un écho romanesque à cette somme de réflexions, Kaléidoscope, roman polyphonique dessinant le portrait d'un architecte mort dans une accident d'avion, est publié en même temps aux éditions Alma. On y retrouve les préoccupations qui ont traversé toute une vie d'architecte, de créateur, et d'homme, à travers le regard ou les histoires de ceux - un astrophysicien, un peintre, une amante, une jeune écrivaine, une épouse, une fille - qui l'ont côtoyé, ou aimé. Chaque chapitre est une histoire qui peut se lire comme une nouvelle. Le tout ajoute une dimension intime au portrait que dessine cette double publication posthume.

Paul Andreu, opéra de Pékin (Paul Maurer)

Un portrait comme une boule à facettes, composé de cet "enchevêtrement qui se défait et se recompose selon le regard que l'on porte sur lui", de cette "infinité de doubles" dont nous parle l'architecte écrivain à la fin du roman, dont "les existences et la mienne étaient devenues les cristaux de couleur d'un immense kaléidoscope dont le moindre tressaillement bouleversait l'image".

Une "cohorte multipliée" de doubles, qui aurait pu lui être "fatale", et qu'il tente de "tenir à distance", mais dont certains lui tiennent agréablement compagnie. Sont-ils ceux dont on entend les voix dans ce roman ?  

"J'ai lutté pour les tenir à distance, pour ne plus laisser que ceux que j'aimais m'entraîner dans les plis de leurs vie et dire "je" en mon nom. J'espère que ceux-là et très peu d'autres encore, peut-être, m'accompagneront jusqu'à la fin"

Paul Andreu

"Kaléidoscope"

Architecte, ingénieur, peintre, écrivain, et avant tout artiste connecté au monde sensible, Paul Andreu était "convaincu que les productions culturelles, toutes les productions, culturelles, sont d'autant plus précieuses que la période est difficile. Qu'au plus profond des crises, de toutes les crises, ce qui demeure, préparant la reprise, ce sont ces deux compagnons de la culture, le rêve et l'imagination." Deux ans après sa mort et après un an de culture confinée, ces mots, prononcés par l'architecte lors de la cérémonie l'élevant au titre de Grand-Croix dans l'ordre national du mérite en 2016, résonnent particulièrement.

A LIRE :

- "Faire et refaire", de Paul Andreu, essais, préface de Marc Lachière-Rey (Alma éditions, 240 pages, 23 €)
- "Kaléidoscope", de Paul Andreu, roman (Alma éditions, 192 pages, 18 €)

A ECOUTER :

- Lectures à la Galerie Éric Dupont  : le 19 mai 2021 (Renseignements : nadine.eghels@wanadoo.fr)

A VOIR :

- Exposition de peinture de Paul Andreu, à la galerie Éric Dupont, du 4 au 25 septembre 2021
- Exposition d’architecture de Paul Andreu, au Centre Georges Pompidou, à partir du 7 septembre 2021

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