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"Fonte brute" : une aventure outre-monde phénoménale signée Sofronis Sofroniou

L’écrivain chypriote Sofronis Sofroniou nous emmène dans un univers où la réalité est toute relative, hantée par les cauchemars. De ses phrases-images émergent un monde onirique, à la David Lynch, dopé par une imagination débridée et délirante.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 2 min
Couverture du livre "Fonte brute" et portrait de l'écrivain Sofronis Sofroniou (Editions Zulma)

C’est une expérience littéraire assez déstabilisante. Entrer dans Fonte brute (Editions Zulma) de Sofronis Sofroniou c’est comme pénétrer dans un univers à la fois connu et totalement mystérieux. Une sorte d’apesanteur tient le lecteur suspendu dans un monde où la frontière entre le réel et le fantastique est très ténue. Le monde imaginaire de l’auteur chypriote paraît si plausible et si absurde que l’architecture du roman relève d’une construction non encore aperçue, lue, jusqu’ici.

Voyage au bout de la vie

 

Sofronis Sofroniou a étudié la psychologie et les neurosciences, ce qui explique sans doute cette mise en abyme exceptionnelle. L’histoire est si originale qu’en proposer un résumé tient du défi. En 1948, un joueur d’échecs new-yorkais meurt à l’âge de 66 ans. Et, rien de bien exceptionnel, il se retrouve, comme tout humain décédé, sur la planète Petite Vie. Et, sur cette planète, tout le monde a de nouveau 20 ans et un bonus de vie de 10 ans. Paradis ou enfer ? Ni l’un, ni l’autre, les deux emmêlés. Chaque nouvel arrivant se voit confier une mission : reconstituer la mémoire de la Terre, se souvenir. Se souvenir au risque de se perdre, se remémorer des évènements bousculés par des temporalités capricieuses. Se fabrique-t-on des (faux) souvenirs ? Dans cet univers gazeux, la vérité prend des libertés insoupçonnées. 

La mémoire donc, avec ses défaillances et ses âpres combats contre le temps qui passe ou qui advient. Le joueur d’échecs reçoit l’injonction de reconstituer le roman 4001 de Robert Krauss. Il est aidé par une femme, Bonadea, qui ressemble de plus en plus à sa défunte épouse au fil des pages. Qui croire ? Que croire ? Sofronis Sofroniou nous emmène dans un outre-monde où la réalité est toute relative, hantée par les cauchemars. On est submergés par des images fortes, tenaces, et saisis par l'effet stroboscopique de cette exacerbation sensorielle. L’écrivain chypriote questionne notre rapport à la technologie, à l’essentiel, à notre passé fatalement décomposé.

Bourré de références littéraires et culturelles, le roman peut vite tomber des mains du lecteur ou, au contraire, devenir un livre marquant, un livre qu’on n’oublie pas. Sofronis Sofroniou est d’une rare ambition dans sa démarche.

(Fonte brute, Sofronis Sofroniou, Editions Zulma, 23,50 euros)

Couverture du livre "Finte brute" de Sofronis Sofroniou. (Editions Zulma)

Extraits : "J’étais joueur d’échecs à Union Square. Je peux l’affirmer avec certitude, c’était pour ainsi dire mon métier avant que je ne quitte la Terre". "Lors du Mois du souvenir, j’ai essayé le plus honnêtement possible de me remémorer tout ce que je pouvais de ma vie sur Terre. Cela n’a, j’imagine, rien d’anormal : nous autres qui sommes morts là-bas à un âge avancé, lorsque nous nous retrouvons ici, nous avons deux fois plus envie de nous rappeler ". "(…) Le cadavre de Baxter avait disparu de la grande table. Il n’y avait plus que ses vêtements. L’engouement était général. J’ai appris un peu plus tard que tous ces gens étaient parvenus, l’espace d’un infime instant, à voir le départ de Baxter, comme on peut voir une bulle de savon éclater".

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