Goncourt des lycéens : ultime journée de rencontres avant la remise du prix dans un mois
"Pensez-vous que nous sommes tous un peu des vers de terre ?", "j'ai une question sur la page 20"... À un mois de la remise du prix Goncourt des lycéens, des centaines d'élèves membres du jury sont venus passer au crible les auteurs en lice et leurs romans. Candides ou extrêmement pointues, les questions fusent dans la salle du cinéma de Rennes où neuf classes, venues de Bretagne, mais aussi de Caen ou de Niort, ont pris place pour cette septième et dernière journée de rencontres organisée avec les écrivains dans diverses villes de France.
Dialogue fructueux
Beaucoup s'interrogent sur le rapport entre réalité et fiction, la part d'eux-mêmes que les auteurs ont mise dans leur livre. "Quand avez-vous découvert le passé nazi de votre mère ?", lance une lycéenne à Cécile Desprairies, historienne spécialiste de l'Occupation qui explore dans La Propagandiste le rôle des femmes de sa propre famille pendant cette période. "J'ai toujours su, mais je n'arrivais pas à mettre des mots dessus (...) Il m'a fallu du temps, l'âge adulte", répond l'autrice.
Le dialogue s'instaure bien vite entre les candidats au Goncourt et leurs lecteurs en herbe. "Quel est l'impact du roman pour les jeunes ?", demande un adolescent à Gaspard Koenig, dont le livre Humus aborde la crise écologique à travers deux étudiants en agronomie et le rôle crucial des lombrics pour la terre. "C'est à moi de vous poser la question. C'est un roman qui s'adresse plutôt aux gens qui hésitent, j'aimerais bien vous entendre", rétorque le romancier, qui aura ces échanges lors de la séance de dédicaces.
La rencontre permet d'aller "au-delà des mots"
"La rencontre avec les auteurs, c'est très différent que de choisir un livre dans une bibliothèque. Les voir et leur parler, c'est aller au-delà des mots", résume Jenna-Emilie, élève de première au lycée Pierre Mendès-France de Rennes, les yeux brillants.
"Je lis beaucoup, mais pas trop ce genre de romans, plutôt de la fantasy. Ça me fait découvrir d'autres choses que je n'aurais pas pensé à regarder", explique sa camarade de classe Deryn, pour qui "c'est une fierté, et une grande responsabilité aussi" de participer au Goncourt des lycéens.
"Entendre les autres élèves parler d'un livre avec enthousiasme, ça peut donner envie à certains de lire", assure Marc Lecoustre, professeur documentaliste à Rennes. "On a le droit de ne pas aller au bout d'un livre quand on n'accroche pas, mais c'est intéressant de pouvoir dire pourquoi on n'a pas aimé", ajoute Caroline Derlyn, sa collègue prof de lettres.
Un jury étudiant très investi
"Certains élèves liront juste un livre comme on leur a demandé, mais j'en ai d'autres qui sont partis pour lire les 16 romans de la sélection" dans le but de faire partie du jury final le 23 novembre, explique-t-elle. Le lauréat sera proclamé ce jour-là à Rennes, berceau de ce prix, prescripteur en termes de ventes. L'expérience est également très enrichissante pour les auteurs qui ont enchaîné les rencontres durant le mois d'octobre pour défendre leur copie devant ce jury si investi.
"C'est une grande découverte et c'est passionnant. Il ne faut jamais oublier qui sont nos lecteurs", estime Cécile Desprairies. "Ça m'apporte beaucoup", confirme Antoine Sénanque, auteur de Croix de cendre. "Mon livre parle de la peste au Moyen Âge, d'un grand philosophe de cette période, maître Eckhart. Je me suis dit franchement, les lycéens, c'est pas le public. En réalité, je me trompais totalement !", sourit-il.
"Ils posent des questions très directes, parfois déstabilisantes, ce ne sont pas du tout les questions dont on a l'habitude. Les lycéens n'hésitent pas à aller dans l'intimité des auteurs", relève Antoine Sénanque, qui parle d'une "cure de rajeunissement". Ces rencontres vont "changer quelque chose dans ma manière d'écrire, peut-être que ce sera plus accueillant pour les jeunes. Les lycéens participeront sûrement à mon prochain livre d'une manière plus ou moins consciente", affirme le romancier.
Le roman sur l'inceste de Neige Sinno banni d'un lycée breton
Par ailleurs, le roman choc en lice pour le Goncourt des lycéens, Triste Tigre de Neige Sinno, qui traite de l'inceste, n'est pas le bienvenu au lycée privé La Mennais de Ploërmel (Morbihan). Ce lycée de 1 700 élèves participe chaque année depuis 1993 au prix de la Plume lycéenne organisé par la Région Bretagne. Les élèves de première qui le souhaitent sont invités à rédiger une critique sur l’un des romans de la sélection en lice pour le prix Goncourt des lycéens.
Mais la directrice de l'établissement, Véronique Calas, a décidé d'ôter de la liste (qui comprend 16 ouvrages au total) un des romans, celui de Neige Sinno. L'autrice y évoque les viols perpétrés dans son enfance par son beau-père et madame Calas juge qu'il y a dans ce livre "des mots, des phrases, des pages, qui peuvent heurter des sensibilités. Il y a des passages d’une grande violence". Elle a donc pris la décision "de ne pas permettre l’accès à ce livre dans le cadre de l’établissement".
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