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Hasard ? Les prix Goncourt et Renaudot récompensent deux romans sur le nazisme, l'un sur l'avant, l'autre sur l'après

Les Prix Goncourt et Renaudot ont cette année récompensé deux romans qui parlent du nazisme. Le prix Goncourt a été décerné à Eric Vuillard pour "L'ordre du jour" (Actes Sud), un roman qui fait le récit de la montée du nazisme, et le prix Renaudot revient à Olivier Guez pour son roman "La disparition de Josef Mengele" (Grasset). Hasard ou "Point Godwin" ? Enquête au Drouant.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le romancier Eric Vuillard, Prix Goncourt 2017 pour "A l'ordre du jour", à la fenêtre du restaurant le Drouant
 (Laurence Houot / Culturebox)
Les pronostiques annonçaient "Bakhita" de Véronique Olmi. C'est finalement "L'ordre du jour", le roman d'Eric Vuillard qui a emporté les suffrages du Goncourt 2017, au 3e tour du scrutin, à 6 voix contre 4 pour le roman de Véronique Olmi, qui fait le récit de la vie d'une esclave, canonisée en 1992.
Les journalistes devant le restaurant Drouant
 (Laurence Houot / Culturebox)
"Je suis très heureux", lâche Eric Vuillard en arrivant au restaurant Drouant quelques minutes à peine après l'annonce de son prix. Son livre est paru au printemps, et c'est "un peu tendu, mais tranquille, qu'il a attendu l'issue des délibérations". Sourire et joues rosies, il se plie avec plaisir au rituel du Goncourt : l'accueil dans une forêt de caméras, d'appareils photos, de micros, et les questions qui fusent, le pied à peine sorti du taxi.
Eric Vuillard, à son arrivée au restaurant Drouant, pour recevoir son Goncourt
 (Laurence Houot / Culturebox)

"C'est un roman littérairement, historiquement et politiquement utile"

Après le déjeuner, quand l'effervescence est un peu retombée, Eric Vuillard prend le temps de répondre aux questions, et notamment à celle-là : deux prix le même jour pour deux romans qui parlent du nazisme. Qu'en pense-t-il ? "C'est le hasard, peut-être. Mais il y a aussi que la seconde guerre mondiale est un sujet central en France. Il n'y a pas de sujet, pas de question qui n'amène inévitablement à la deuxième guerre mondiale et au nazisme", souligne Eric Vuillard, qui s'est penché dans son roman sur la montée du nazisme en Allemagne entre 1933 et 1938.

"C'est un roman qui montre comment une petite bande d'individus, une clique, réussit à subvertir un peuple entier, un livre qui montre comment la mal s'installe", explique Bernard Pivot. "C'est un roman utile littérairement, parce qu'il est magistralement écrit, mais aussi un livre historiquement et politiquement utile, qui devrait être lu par tous les jeunes gens d'aujourd'hui".

Un roman "à l'ordre du jour", aussi. "Il y a un rapport à l'histoire, une façon de regarder le réel, qui fait échos au temps présent, dans son intranquillité, dans son illisibilité", souligne Eric Vuillard.

"La guerre est un grand thème de la littérature, presque un genre. C'est notre sujet en France. C'est un peu notre truc non ?" confirme Virginie Despentes, qui se dit très satisfaite de ce choix. "D'autant plus que l'actualité nous ramène à ça tout le temps, la Catalogne, Trump... Et en plus Eric Vuillard écrit cette histoire de manière extraordinaire", conclut la romancière, jurée du Goncourt depuis l'an dernier. Elle ne sera pas contredite par la ministre de la culture, qui a fait au Goncourt l'honneur de sa visite, et pas seulement parce que le roman récompensé est édité par sa maison Actes Sud. "Je suis très heureuse de ce choix, c'est un excellent livre", se félicite Françoise Nyssen. "Aucun juré Actes Sud autour de cette table", précise amusé Didier Decoin.

Hasard ou "point Godwin" ?

"Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1", disait Mike Godwin, qui a donné son nom à cette théorie. Point Godwin ou hasard ?  Le Renaudot a été décerné le même jour à un autre roman qui parle du nazisme, "La disparition de Josef Mengele" (Grasset)", d'Olivier Guez. "Il faut croire que les romanciers et les jurés des prix sont obsédés par le point Godwin", relève en souriant Frédéric Begbeider, membre du jury Reanudot. "Non sérieusement, il faut croire qu'il y a un danger qui n'est pas passé, mais présent, avec le populisme, avec la montée des nationalismes..." ajoute-t-il. Franz-Olivier Giesbert insiste : "c'est un sujet qui n'a jamais été traité, et qu'Olivier Guez traite avec une grande épaisseur. C'est rare, mais c'est un livre que l'on ne referme pas avant de l'avoir terminé".
Olivier Guez Prix Renaudot, à son arrivée au Drouant
 (Laurence Houot / Culturebox)
Le roman d'Olivier Guez fait le récit  de la vie du nazi Josef Mengele, le médecin tortionnaire, qui fit des expériences sur les être humains dans le camp d'Auschwitz. Olivier Guez y raconte la vie du criminel nazi après la fin de la seconde guerre mondiale, sa fuite, et sa misérable vie consacrée à se cacher et à échapper à la traque, dans la peur.  Pour le romancier, le fait que deux romans sur le nazisme soient  récompensés le même jour n'est pas si étonnant. "La seconde guerre mondiale, et même les deux guerres mondiales sont des tremblements de terre qui ont eu plusieurs répliques. On en est au moins à la 2e ou la 3e, et il faut croire que ces répliques arrivent encore aujourd'hui jusqu'à Paris", souligne Olivier Guez, qui se dit très heureux que ce livre soit récompensé. "On a besoin de savoir aujourd'hui l'extraordinaire médiocrité du mal", dit-il, expliquant qu'il voulait avec ce roman comprendre à quoi ressemblait la vie quand on avait commis le mal. "C'était presque jouissif de montrer comme cet individu était médiocre et pathétique", conclut-il. 

Cette semaine des prix démarre donc sous le signe de l'exigence, et de la noirceur. Elle se poursuivra avec le Prix Décembre le mardi 7, puis le Fémina le 8 et enfin le Médicis le jeudi 9 novembre. 

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