Houellebecq : 10 curiosités glanées dans son Cahier de L'Herne
Bonne nouvelle pour les fans : Houellebecq est de retour dans les librairies en ce début d'année 2017. Au programme : le 2e volume de ses œuvres complètes ("Houellebecq, 2001-2010", Flammarion), la version en poche de "Soumission" (J'ai Lu), "En présence de Schopenhauer" (L'Herne) un inédit, et un Cahier de L'Herne qui dresse de cet auteur singulier un portrait à géométrie variable.
La sortie d'un cahier de L'Herne consacré à un auteur qu'on aime bien est toujours une bonne nouvelle. Dans le cas de Houellebecq, cette forme composée d'éléments hétéroclites ne fait pas exception, au contraire : elle permet de dresser autant que possible le portrait d'un auteur non seulement "polygraphe" - il a sillonné tous les genres littéraires (romans, poésies, essais, théâtre, tribunes politiques…)- mais aussi explorateur de tant d'autres territoires artistiques.
"Plus on soumet Houellebecq à la lumière, plus il semble s'y dissoudre", constate Agathe Novak-Lechevalier, qui a assuré la direction de l'ouvrage, "comme si toute tentation d'élucidation était condamnée", précise-t-elle. "Comment donc approcher cette figure insaisissable ?", questionne l'universitaire, spécialiste de la littérature du XIXe siècle. C'est précisément cette "approche plurielle" mélangeant les genres, qui peut peut-être saisir cet auteur singulier.
Composé de textes inédits, essais universitaires, témoignages d'écrivains, d'artistes, de musiciens, journalistes, de proches ou moins proches, d'amis, d'ennemis, photos, correspondances, tableaux… Ce cahier de L'Herne se propose de "rendre compte de la complexité d'un auteur et d'une œuvre qui n'ont pour ambition que de sauver une époque -la nôtre- de l'évanouissement".
Nous avons plongé notre nez dans cette somme, 10 curiosités à découvrir, en avant goût de l'immersion.
1Pif le Chien (page 84)
"La bande dessinée belge n'a rien produit, en matière d'aventures, qui égale la grande période de Pif le Chien", écrit Michel Houellebecq dans "L'Idiot international" n°77 en mars 1992. "En 1970 je jouais encore aux billes, je lisais Pif le Chien. La belle vie. Puis une série de catastrophes s'est produite, et j'ai plus ou moins cessé d'être un enfant".
("L'Idiot international" n°77 en mars 1992 à l'occasion de la sortie de Pif-Gadget, n° 40 dans les kiosques)
2"Avant Baudelaire, j'ai lu Corneille : je kiffais grave !" (page 76)
"Je suis un cas probablement assez rarissime, mais –parce que j'avais trouvé des bouquins- j'ai lu une grande partie de Corneille quand j'étais adolescent. Donc avant Baudelaire, j'ai lu Corneille… Je kiffais grave" ! Non, mais c'est vrai, j'étais tombé dessus par hasard. C'est une autre époque".
(Entretien avec Sophie Nauleau, diffusé le 6 janvier sur France Culture dans l'émission "Ça rime à quoi").
3La photo des "Particules" (page 118)
"Les Particules élémentaires", c'est le moment où se constituent une image et un style "houellenbecquien", explique Agathe Novak-Lechevalier pour présenter cette fameuse photographie faite par Renaud Monfourny. Cette photographie a été prise en 1998 pour illustrer l'article des Inrocks consacré aux "Particules élémentaires".
"J'ai pris cette photo avant qu'il ne se prépare : c'est pour ça qu'il porte encore son sac, c'était le sien ; tout de suite après il l'a posé et il a aussi enlevé sa veste. C'est une photo d'entre-deux. Et c'est vrai qu'elle le résume parfaitement : la cigarette, le geste, le sac de courses Monoprix", explique le photographe. "Les gens ont l'habitude de dire qu'il est habillé comme l'as de pique, mais en fait il a un style, qui n'est évidement pas dans les canons de la mode et de l'élégance mais qui est très cohérent depuis le début".
4MichelHouellebecq et son chien (et ami) Clément, par RobertCombas
"Dans l'abrutissement qui lui tient lieu de grâce, coincé au milieu du monde de Combas, abruti lui aussi et en grâce, idem en compagnie de son chien (et ami!) Clément !"
5"J'ai décidé de me suicider ce soir", signé MichelHouellebecq (page 241)
Un SMS envoyé "un dimanche comme un autre, au début de l'hiver 2007", raconte Bernard Henri-Lévy. "Attendez, ne vous suicidez pas tout de suite ; je vous invite à dîner avant", lui répond-il. Ils se retrouvent au Ritz ("C'est idiot, mais il fait nuit, il pleut, et je me dis que l'endroit aura le double mérite d'être ouvert le dimanche soir et d'avoir une adresse simple...").
Quelles sont les raisons de son chagrin, lui demande BHL. "Ma femme, que je n'aime plus. Mon chien Clément, qui ne va pas bien. Et puis ce monde où il n'y a plus personne à qui parler", lui répond Houellebecq. "Votre femme je ne la connais pas. Les chiens, ça n'a jamais été mon truc. Mais "Personne à qui parler - là, je peux peut-être vous aider : et si on essayait de prouver le contraire et de faire, ensemble, un livre de dialogue. C'est à cet instant qu'est né Ennemis publics".
6"The Elephant in the room", Iggy Pop (page 295)
"C'est un amuseur talentueux, mais je pense que le sujet qu'il traite le mieux est celui qu'il ne mentionne jamais : l'amour. Ou, plus précisément l'absence d'amour qui emplit chaque page de ses livres comme une atmosphère, fonctionnant comme un espace et un vide. C'est l'éléphant dans la pièce, ce dont on ne parle jamais, qui donne toute leur force à l'intrigue et aux péripéties. Il y a une exception à ce traitement de l'amour comme indicible : il s'agit bien sûr de son chien. "Qu'est-ce qu'un chien sinon une machine à aimer", demande Houellebecq. Pourtant, un chien n'est pas un homme, un homme n'est pas un chien et, tôt ou tard, on en revient forcément à la touche féminine, n'est-ce pas ? C'est ça le pouvoir de la femme".
(Iggy Pop, Septembre 2016, traduction par Myriam Dennechy).
7"Graziella" dans la Bibliothèque Verte (page 335)
"C'est en Bibliothèque Verte que j'ai lu Graziella, qui a été un choc énorme. Je l'ai lu beaucoup trop tôt, à dix ans : quelqu'un me l'a offert, quelqu'un d'inconscient probablement, qui n'avait pas compris que ce n'est pas un livre qu'on met entre les mains des enfants. C'est très perturbant sur le plan amoureux de lire Graziella à dix ans. Cela a suscité chez moi une sorte de névrose lamartinienne, dans laquelle je retombe régulièrement, et qui se résume à cette idée : le moment du bonheur a eu lieu, puis il s'est enfui. J'ai toujours des ondes de tristesse qui reviennent, et pour moi celle-ci est d'une efficacité terrifiante. Graziella en est l'expression la plus parfaite (...). J'ai encore le volume dans cette collection : c'est un des seuls que j'ai gardés, parce que c'est un livre extraordinaire".
(Entretien avec Agathe Novak-Lechevalier).
8Mails - Correspondance avec Teresa Cremisi (page 137)
"De : Michel HOUELLEBECQ
Envoyé : mardi 14 septembre 2010, 12:43
A : CREMISI Teresa
Objet : Un peu tout
Chère Teresa,
J'ai beaucoup dormi ces derniers jours, et je commence à émerger un peu. Clément va bien. Ce que vous me dites pour le Goncourt : c'est encore plus compliqué que je ne pensais ! Je vous plains sincèrement.
Michel"
(Extrait de la correspondance entre Michel Houellebecq et son éditrice Teresa Cremisi, entre la fin de l'année 2006 et le début de l'année 2016).
9"Je suis normal. Écrivain normal" (page 66)
"Revenons en arrière. Établissons les choses avec clarté. Depuis le début des années 1990, mes publications s'échelonnent avec régularité. Invité à la télévision, j'ai bavardé, plein de pertinence, avec différents présentateurs. Présent lors des foires du livre, je me suis prêté avec bonne humeur au jeu des signatures et des dédicaces. Je n'ai jamais insulté un photographe : bien au contraire, j'entretiens avec certains d'entre eux d'excellents rapports. Je ne comprends pas. Qu'est-ce qui ne va pas avec moi ? De quoi me soupçonne-t-on ? J'accepte les distinctions, les honneurs, les récompenses. Je joue le jeu. Je suis normal. Écrivain normal. Parfois je me relève la nuit, je me regarde dans la glace ; j'observe mon visage, j'essaie de voir ce que les autres voient, et qui les inquiète. Je ne suis pas très beau, c'est certain, mais je ne suis pas le seul. Ça doit être autre chose. Le regard ? Peut-être le regard. La seule chose qu'on ne voie pas dans la glace, c'est son propre regard."
(Extrait de "Je suis normal. Écrivain normal, nouvelle parue dans le recueil "Des nouvelles du Prix de Flore", Flammarion, 2004)
10"Mourir"
"Lorsque j'étais bébé, ma mère ne m'a pas suffisamment bercé, caressé, cajolé ; elle n'a simplement pas été suffisamment tendre ; c'est tout, et ça explique le reste, et l'intégralité de ma personnalité à peu près, ses zones les plus douloureuses en tout cas... Aujourd'hui encore, lorsqu'une femme refuse de me toucher, de me caresser, j'en éprouve une souffrance atroce, intolérable ; c'est un déchirement, un effondrement, c'est si effrayant que j'ai toujours préféré, plutôt que de prendre le risque, renoncer à toute tentative de séduction. La douleur à ces moments est si violente que je ne peux même pas correctement la décrire ; elle dépasse toutes les douleurs morales, et la quasi totalité des douleurs physiques que j'ai pu connaître par ailleurs ; j'ai l'impression à ces moments de mourir, d'être anéanti, vraiment. Le phénomène est simple, rien ne me paraît plus simple à expliquer ni à interpréter ; je crois aussi que c'est un mal inguérissable. J'ai essayé. La psychanalyse s'est depuis toujours déclarée impuissante à lutter contre des pathologies aussi ancrées ; mais j'ai un temps placé quelque espoir dans le rebirth, le cri primal... ça n'a rien donné. Je le sais maintenant : jusqu'à ma mort je resterai un tout petit enfant abandonné, hurlant de peur et de froid, affamé de caresses".
(Michel Houellebecq, 20 août 2005. 3 HEURES DU MATIN - extrait de "Mourir", inédit).
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