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Joseph Ponthus remporte le grand prix RTL/Lire pour "A la ligne" : la vie à l'usine en intérim, la claque

Joseph Ponthus remporte le 14 mars le grand prix RTL/Lire pour son premier roman "A la ligne" (La Table Ronde), récit à la première personne d'une vie à l'usine en intérim. Les cadences, le corps en souffrance, l'odeur, l'épuisement, mais aussi "la paradoxale beauté" de l'usine. Le jeune romancier déploie son texte comme un long ruban, comme une ligne de chaîne qui ne s'arrête jamais. Une claque.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le romancier Joseph Ponthus, auteur de "A la ligne" (La Table Ronde)
 (Philippe Matsas / Opale Editions / La Table Ronde)

Le prix sera remis à Joseph Ponthus le 14 mars dans la soirée à l'occasion de l'inauguration du Salon Livre Paris qui ouvre ses portes au public vendredi 15 mars.

L'histoire : faute de trouver du travail, le narrateur s'est inscrit dans une agence d'intérim. Il est venu s'installer en Bretagne avec son épouse, et elle "en a marre de le voir traîner dans le canapé en attente d'une embauche dans son secteur". On lui propose une première mission dans l'agroalimentaire, "l'agro comme ils disent". Il commence par une usine bretonne de production, de transformation et de cuisson de poissons et crevettes. Embauche à 6 heures. Le narrateur très vite, se met à écrire.

"Au fil des heures et des jours le besoin d'écrire
S'incruste tenace comme une arrête dans la gorge
Non le glauque de l'usine
Mais sa paradoxale beauté"

"L'usine c'est pour les sous"

Pourtant, s'il en est venu là, travailler à la chaîne, ce n'est pas pour écrire, ou faire un reportage, "encore moins préparer la révolution". Non. "L'usine c'est pour les sous". Et c'est dur. Le narrateur raconte son quotidien. L'odeur, qu'il ne sent plus,  le froid, "supportable avec un gros pull-over un sweat-shirt à capuche deux bonnes paires de chaussettes et un collant sous le pantalon", les lourdes charges qui lui font découvrir des muscles de son corps dont il ignorait l'existence, le réveil du matin, "peu importe l'heure, il sera toujours trop tôt". Dresse la liste des tâches. "Tirer tracter trier porter soulever peser ranger". Le romancier fixe sans les arrêter les moments de sa vie d'ouvrier. Son expérience de l'usine. Cette usine qui a tout changé.

"L'usine bouleverse mon corps
Mes certitudes
Ce que je croyais savoir du travail et du repos
De la fatigue
De la joie
De l'humanité"

Il enchaîne les contrats. Nouvelle usine. Nouvelles tâches. Charrier la viande, déplacer les carcasses. Début des cauchemars, et le corps qui "commence doucement à être ravagé"… A la ligne, il y a aussi, volés à la chaîne des homards, des bavettes, à sa femme endormie, les mots tendres, à son chiot Pok Pok, la complicité des confessions sur la plage au retour de l'usine.

"L'usine est un divan"

Paradoxalement, l'usine fait aussi office de cure. "L'usine est un divan", lâche le narrateur. Elle absorbe ses angoisses, éponge sa mélancolie.

"La fin de l'usine sera comme la fin de l'analyse
Elle sera simple et limpide comme une vérité
Ma vérité"

Entre les lignes d'"A la ligne" pointe la révolte. On y entraperçoit l'ombre des gilets jaunes. Mais il passe son tour. Parce qu'il est fatigué, qu'il n'a pas le temps, et qu'il a besoin de travailler.

"Si j'avais le temps et la force d'aller manifester
De péter encore quelques vitrines de banques
D'agences immobilières ou d'intérim
Sûr que"

"J'écris comme je travaille / A la chaine"

Joseph Ponthus déploie son texte comme une ligne de production. Un calligramme de simple forme, un ruban dont la largeur oscille au gré des cadences, des tâches à accomplir, de la lassitude, de la souffrance ou de la joie. Ni point, ni virgules, ni points-virgules, pas non plus de points d'interrogation, encore moins de points d'exclamation. Aucune ponctuation ne vient interrompre le mouvement incessant de la chaîne, le texte a été moulé à l'usine.

"J'écris comme je travaille
A la chaine
A la ligne"

Comme à la chaîne, les mots passent sous les yeux du lecteur, lui faisant palper la violence accablante de l'usine. 

La poésie et la chanson pour "tenir le coup"

A la rescousse de cet ouvrier narrateur, les écrivains et les poètes. Dans le désordre Dumas, Claudel, Apollinaire, Rabelais, Perec, Zola, Cendrars… On ne va pas tous les citer. Ponthus les convoque, les cite, les jette sur le tapis comme autant de balises, de lampions dans la nuit de l'usine. Autre pilier : les chansons. A l'usine, dans la peine, les chanteurs aident tout le monde.

"C'est le plus beau passe-temps qui soit
Et ça aide à tenir le coup
Penser à autre chose
Aux paroles oubliées
Et à se mettre en joie"

"A la ligne" est un livre fort, un nouveau regard, une nouvelle voix (e) dans le paysage littéraire. De quoi se réjouir.
 
"A la ligne", Joseph Ponthus
(La Table Ronde – 266 pages – 18 €)
 
 
Extrait

"Entre quelques tonnes de sabres de grenadiers et
De lieus
Aujourd'hui j'ai dépoté trois cent cinquante kilos
de chimères
J'ignorais jusqu'à ce matin qu'un poisson d'un tel
nom existât
Mes chimères sont arrivées après la pause
Drôle de poisson avec deux belles nageoires en bas
du ventre pouvant ressembler à des ailes
Peut-être que leur nom vient de là
Ou non
Ca a suffi à mon bonheur de la matinée
Me dire que j'avais dépoté des chimères"

"A la ligne", page 30

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