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"Kerozene" : second roman hautement inflammable de la romancière belge Adeline Dieudonné

La romancière belge signe un second roman dans lequel elle met en scène une galerie de personnages dont les destins se croisent un soir d'Ă©tĂ© sur une aire d'autoroute des Ardennes. "Kerozene" est une comĂ©die humaine trash, qui scrute l'âme humaine sans tabou, jusque dans les trĂ©fonds.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
La romancière belge Adeline Dieudonné, le 7 janvier 2021 (Céline Nieszawer)

Après un premier roman en 2018, La vraie vie, multiprimé et vendu à 300.000 exemplaires, l'autrice belge Adeline Dieudonné revient avec Kerozene, publié aux éditions de L'Iconoclaste le 1er avril. Un roman choral dans lequel elle met en scène des tranches de vies se croisant sur une aire d'autoroute des Ardennes. Regard acéré et écriture tonitruante, Adeline Dieudonné confirme avec cette comédie humaine un vrai talent pour peindre ses contemporains.

L'histoire : elle commence et s'achève sur une aire d'autoroute. Ici vont se croiser les destins d'une poignée de protagonistes en prise avec leurs vies respectives. Chelly, prof de "pole dance" impulsive, Victoire, une mannequin phobique des dauphins, Loïc, dépanneur et chaud lapin, Alika, une nounou philippine, consciencieuse et aimante envers et contre tout, Monika, vieille dame solitaire arrachée à sa forêt, Julianne, rescapée d'un massacre terroriste, Joseph, timide représentant en acariens, Red Apple, cheval de tragédie, ou encore Julie, épouse soumise aux examens gynécologiques de ses beaux-parents, jouissant enfin dans les bras de son mari en énumérant une liste de maladies vénériennes… Très peu de choses relient entre eux tous ces individus, si ce n'est qu'ils vont, par cette chaude nuit d'été, se croiser sous les néons de ce lieu de passage hors du temps : la station-service.

Comédie trash 

Adeline Dieudonné déploie cette comédie humaine en chapitres courts, un par personnage, sauf Victoire, qui en aligne deux. D'une écriture crue, qui claque, elle concentre sur une aire d'autoroute et dans les quelques heures d'une nuit d'été, unité de temps et de lieu comme au théâtre, la palette foisonnante des sentiments et des pulsions qui animent ses personnages.

La romancière nous plonge aussi dans l'avant et l'après, l'enfance des uns, la vie conjugale des autres, leurs obsessions, leurs angoisses, leurs manies, leurs désirs, leur plaisir ou leurs dégoûts...

"J'avais déjà voulu lui dire que je ne voulais plus qu'il vienne, que le plaisir de sentir un homme à l'intérieur de moi était trop court et trop faible pour compenser le temps passé à laver mon linge, à le sécher et à le repasser. Mais les mots ne voulaient pas se former dans ma bouche. Je crois que c'est un peu comme pour Marie et Roger. Je ne voulais pas donner l'image de quelqu'un qui dit non."

Adeline Dieudonné

"Kerozene", page 154

Faisant surgir du quotidien le plus banal la violence et la force des rapports humains dans des situations souvent incongrues, parfois même surréalistes, Adeline Dieudonné scrute et croque ses contemporains avec un œil acéré et une bonne dose d'humour noir.

Cette manière burlesque n'empêche pas de dévoiler la singularité et le for intérieur ce ceux qu'elle met en scène, leurs pulsions et secrets les plus intimes. Plus trash que pathos, la jeune autrice belge de La vraie vie confirme avec ce nouveau roman un vrai talent de conteuse des temps modernes et des replis de l'âme.

Couverture de "Kerozene", d'Adeline Dieudonné, avril 2021 (L'ICONOCLASTE)

"Kerozene" d'Adeline Dieudonné (l'Iconoclaste - 312 pages - 20 €)

Extrait :

"Elle a longé le restaurant fermé aux fenêtres hexagonales sur lesquelles étaient placardées des photos de boulettes sauce tomate et de frites. Délavées les photos, grises les boulettes, blanches les frites. A l'extrémité du bâtiment, quelques tables en plastique jaune, délavées elles aussi. Et des parasols repliés dans leurs housses bleues, comme des bougies éteintes sur un gâteau rassis. La vieille a salué Julianne et Alika, a choisi la table la moins sale et s'est assise.
Elle a été surprise par le calme de l'endroit. Si on lui avait demandé de décrire une station-service de nuit, elle aurait évoqué le vacarme, instinctivement. Vacarme des camions sur l'autoroute, vacarme d'une grosse Harley vacarme de types qui crient d'un bout à l'autre du parking : "DES WINSTON OU DES MALBORO ?" – "QUOI ???"-  "DES WINSTON OU DES MALBORO ?" – "NON DES CAMEL." – AH OK !" "LIGHT!" – "QUOI ?" – "LIGHT" Addition de tout un tas d'éléments qui, sans qu'elle ne les identifie individuellement devaient créer un brouhaha à vous perforer le lobe préfrontal. Or non. Le bruit de l'autoroute ressemblait à une forme de ressac, régulier plutôt doux. Et les gens qui y passaient murmuraient plus qu'ils ne parlaient, comme s'ils avaient peur de réveiller un voisinage imaginaire. Il y avait presque du recueillement dans leurs gestes et dans leurs pas. Peut-être que la route, la chaleur invitaient à un état méditatif qu'ils essayaient de préserver pendant le ravitaillement. (Kerozene, page 12)

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