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L'art du roman à "L'eau de rose", sous la plume alerte de Christophe Carlier

"L'eau de rose" (Phébus), le nouveau roman de Christophe Carlier, auteur de "L'assassin à la pomme verte", raconte les états d'âme de Sigrid, écrivaine de romans à l'eau de rose, elle-même piquée par la passion lors d'un séjour estival dans un hôtel des Cyclades. Un roman parodique, peuplé d'une galerie de personnages pittoresques, où l'eau de rose vire parfois au vinaigre. Réjouissant.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Le romancier Christophe Carlier publie "L'eau de rose" (Phébus)
 (Héloïse Jouanard)
L'histoire : Sigrid est en villégiature à la Villa Manolis. Elle est là pour écrire son prochain livre, un roman à l'eau de rose, c'est sa spécialité. Sigrid, "femme entre deux âges", a voué sa vie à la littérature sentimentale, "un genre mineur décrié mais indispensable à notre époque où le rêve est rare". Elle maîtrise son affaire, "mitonne des romances et des sérénades", où des Stella, Gentiane ou Deborah, s'amourachent de princes charmants inaccessibles et réussissent toujours après les nécessaires rebondissements et atermoiements, à obtenir "un mariage, une promesse ou un baiser".

Si elle sait raconter les troubles de l'amour, Sigrid n'en a jamais jusque-là elle-même goûté ni les joies, ni les souffrances. Et c'est là, dans ce petit hôtel niché sur les côtes d'une île grecque, que la romancière va découvrir pour la première fois de sa vie la passion. C'est Gertrude, mystérieuse et gracieuse jeune fille au look gothique qui déclenche l'ouragan.

Quand l'eau de rose tourne au vinaigre

Pendant ce temps, le nouveau roman de Sigrid prend forme. Les deux histoires avancent en parallèle. Dans la fiction Priscilla, sur le point d'épouser Robert, le gendre idéal, et son amoureux transi depuis l'enfance, commet sans le vouloir une bourde qui va faire tourner l'eau de rose au vinaigre… Dans la réalité, Sigrid, le cœur retourné par Gertrude, n'est pas au bout de ses surprises…

La romancière a l'habitude de nourrir ses romans du spectacle qui se déroule sous ses yeux. "Ce serait probablement le cas à la Villa Manolis. La lumière était bonne. Le décor lui plaisait. Restait à vérifier la distribution". Un directeur d'hôtel "onctueux", une cantatrice mythomane, un couple de pharmaciens dépressifs, deux vieilles anglaises médisantes, un plagiste séduisant… Sigrid est servie.

Entre Alain Resnais et Agatha Christie

Cette mise en abîme du métier d'écrivain, fusse-t-il le travail à l'œuvre d'une écrivaine de romans à l'eau de rose, donne l'occasion d'évoquer la puissance du récit, et la frontière parfois floue entre fiction et réalité. Exercice ici déroulé dans une forme ludique.

Un décor désuet, des personnages pittoresques, des péripéties et des coups de théatre racontés dans une langue virevoltante, l'auteur de "L'assassin à la pomme verte" (Serge Safran, Prix du Premier roman en 2012) livre un roman enlevé, une touche parodique et théâtrale, évoquant Resnais côté cinéma (Sabine Azema serait parfaite dans dans le rôle de Sigrid), avec du suspense, ambiancé façon Agatha Christie côté littérature. Un roman léger et réjouissant, lové sous une couverture agréable à l'oeil comme au toucher, c'est à noter.
 
"L'eau de rose", Christophe Carlier
(Phébus – 240 pages – 18 €)   

Extrait

Sigrid avait souvent rencontré ses lectrices dans les fêtes du livre et autres manifestations qu'aucune personne sérieuse n'aurait pu qualifier de littéraires. Ces femmes maigres ou boulottes, chaleureuses ou impressionnées, lui parlaient avec un même enthousiasme de leurs amours et de ses romances. Mesuraient-elles seulement que les secondes étaient purement fictives ?
L'une d'elles, un jour, lui avait pris la main, en l'assurant qu'elle la tenait pour une amie. Elle avait ajouté :
- On devine en vous lisant que vous avez vécu de grandes amours.
Sur le sujet, avait pensé Sigrid, elle en sait forcément plus long que moi. Car au fur et à mesure qu'elle écrivait des romans roses, il lui semblait qu'elle perdait en empathie ce qu'elle gagnait en fluidité narrative. De moins en moins de sentiment, de plus en plus de vocabulaire… N'était-ce pas une manière de progresser ?
A présent, elle ressemblait à ces marins fantoches, qui éblouissent les touristes en parlant de naufrages et d'ouragan. Nombre d'entre eux n'ont jamais quitté la côte. De la tempête ils ne connaissent que les récits, dont la plupart sont mensongers".

"L'eau de rose", page 41

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