"L'éternel fiancé", dernier roman d'Agnès Desarthe : chronique musicale de la vie d'une femme
Le dernier roman d'Agnès Desarthe est un voyage au cœur de la vie d'une femme, scandée par la visite impromptue mais régulière de son "éternel fiancé".
Dans L'éternel fiancé, son dernier roman paru le 19 août aux éditions de L'Olivier, Agnès Desarthe fait le récit de la vie d'une femme dont le chemin croise à plusieurs reprises celui d'un homme au destin étrange.
L'histoire : l'histoire se noue à la mairie, dans une salle des mariages, quand un petit garçon déclare sa flamme à une petite fille à l'occasion d'un concert de Noël. Ils ont quatre ans. Il s'appelle Etienne, elle est la narratrice, on ne connaît pas son nom. "Je t'aime parce que tu as les yeux ronds", lui dit le garçon. "Je ne t'aime pas parce que tu as les cheveux de travers", répond la petite fille. "Mais elle songe qu'ils sont à présent fiancés, à cause de la beauté de la musique ; officiellement fiancés, à cause de la salle des mariages."
Ce premier rendez-vous manqué en annonce d'autres. Toute une série : la fillette va grandir, mûrir, vieillir, et elle recroisera régulièrement, à l'improviste, le garçon qui lui, ne la reconnaît jamais.
Point de mire
Plus que l'histoire, c'est surtout la manière dont Agnès Desarthe peint la trajectoire de cette femme, de la petite enfance à l'âge mûr, qui nous accroche. Dans un récit syncopé, la romancière dessine à petites touches le tableau d'une vie, comme déployé sur une scène construite avec des plans superposés, donnant à l'ensemble son relief, et une profondeur de champ infinie.
On démarre avec le personnage dans sa vie d'enfant, dans l'espace clos et douillet de la famille, où la petite fille est à la fois elle-même et fille de sa mère, fille de son père, sœur de ses sœurs. Ils font de la musique ensemble, dans un quatuor à cordes.
Puis vient l'adolescence, la vie avec les copains, la mélancolie, les joies et les vertiges qui accompagnent cet âge, et aussi l'émancipation, autant celle des enfants que celle des parents, avec en arrière-plan la "guéguerre" entre Séfarades et Ashkénazes, racontée avec humour par la romancière.
Partition
Poindront ensuite l'âge adulte, l'amour conjugal et la maternité, puis la maturité et les premiers signes de la vieillesse. Tout au long de ce chemin, comme un funambule perché en surplomb, figure fragile et poétique, "l'éternel fiancé" est là, entrant et sortant du champ au gré du hasard. Il est pourtant constamment présent, comme un point fixe sur lequel tous les fils de la vie de l'héroïne sont accrochés sans toutefois constituer l'axe principal de sa biographie officielle.
"Je ne dis rien de la sensation de plus en plus présente d'avoir une double vie. Celle qui m'appartient et dans laquelle je me déplace sans joie, et l'autre dont je ne fais pas partie et qui, néanmoins, me passionne. Une vie à laquelle je ne peux rien retrancher ni ajouter, que je ne puis ni améliorer ni empirer, dont les personnages ne pensent rien de moi, dans laquelle il n'y a aucun enjeu ni aucun risque. Cette autre vie qui m'aspire et ne sera jamais ratée ni accomplie."
Agnès DesartheL'éternel fiancé
Qu'est-ce qu'une vie ? Qu'est-ce qui en constitue le centre ? Qu'est-ce que l'amour ? Où file le temps qui passe et de quoi se souvient-on vraiment ? C'est ce que raconte le dernier livre d'Agnès Desarthe, qui dépeint la vie comme une partition musicale à plusieurs voix, en trois mouvements, avec des mélodies qui reviennent, des ruptures de rythme, des modulations, des harmonies et des contretemps.
Élément fondateur et outil métaphorique, la musique, en bonus, est omniprésente dans ce merveilleux roman d'Agnès Desarthe, en lice pour le Prix Goncourt 2021.
"L'éternel fiancé", Agnès Desarthe (L'Olivier, 256 pages, 19 €)
Extrait :
"Nous gravissons l'escalier qui mène à l'endroit où sont dressées les tables. Tous les trois, de front, au même rythme. J'en suis frappée : nos pieds se posent exactement au même instant sur une marche, alors que nos jambes ne sont pas de longueurs équivalentes. Je suis au centre. A gauche, mon passé, à droite, mon avenir, et moi, au milieu, au présent, à l'invivable présent. Ce temps que la musique ignore." (L'éternel fiancé, page 148)
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