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L'extraordinaire voyage d'un fakir... conte hilarant des temps modernes

C'est le phénomène de cette rentrée littéraire 2013 : en tête des ventes depuis plusieurs semaines, le premier roman de Romain Puértolas "L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea" est un conte moderne réjouissant, preuve qu'on peut encore raconter des fables drôles et incisives au XXIe siècle, et trouver son public.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Romain Puértolas, l'auteur de "L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea" (Le Dilettante)
 (Le Dilettante)
L'histoire : Ajatashatru Lavash Patel (que le lecteur est invité à prononcer "J'arrache ta charrue" ou "Achète un chat roux", ou "J'ai un tas de shorts à trous", et bien d'autres variantes encore, selon les aptitudes linguistiques des interlocuteurs du fakir), Ajatashatru  Lavash Patel, donc (prononcez comme vous voudrez), fakir de son état, a pris l'avion pour Paris avec une mission : acheter un nouveau lit à clous en kit dans un magasin Ikéa. Tout le village du Rajasthan dont il est originaire s'est cotisé pour lui payer son voyage.
 
Ajatashatru est un homme "d'âge moyen, grand, sec et noueux comme un arbre, le visage mat et barré d'une gigantesque moustache". Il a aussi des grands anneaux dans les oreilles. Son arrivée à Paris ne passe pas inaperçue, même s'il a troqué son costume traditionnel de fakir, "un pagne en forme d'énorme couche de nouveau-né", contre un costume en soie brillante et une cravate. L'homme ne doit rester que deux jours, le temps d'acheter son lit à clous (à visser soi-même), avant  de reprendre l'avion pour rentrer en Inde.
 
Les aventures rocambolesques d'un fakir, escroc au cœur tendre
 
Seulement voilà, après avoir arnaqué le chauffeur de taxi gitan Gustave Palourde, il déambule dans le magasin Ikea où il fait la connaissance de Marie Rivière (une charmante quarantenaire souffrant de solitude), le "premier électrochoc cardiaque que le fakir reçoit en plein cœur" au cours de cette aventure, et "ce ne serait pas le dernier".
 
Faute de moyens pour se payer l'hôtel, le fakir s'apprête à passer la nuit avec un plateau télé (sans télé) confortablement installé dans un canapé du grand magasin de meubles suédois une fois fermé, quand l'affaire prend une nouvelle tournure : surpris par les vigiles, il se cache dans une armoire, laquelle est expédiée par camion au Royaume-Uni. Début des aventures loufoques de ce fourbe mais attachant fakir, qui le mènent de Paris à Londres et de Barcelone à Rome, en passant par la Lybie…
 
Une fable du XXIe siècle
 
Ce premier roman de Romain Puértolas évoque avec humour et distance des questions de notre monde contemporain : la mondialisation, la pauvreté, les drames de l'immigration clandestine ("cette peur qui assaille le ventre chaque fois que le camion ralentit et s'arrête"), matérialisme individualisme et solitude en Occident… Des personnages bien dessinés, à la manière de Perrault, tous affublés de noms extravagants, moult rebondissements et farandole de gags perpétrés dans un univers bien ancré dans le réel (François Hollande, Pekin Express, Lampedusa …) font de cette rocambolesque aventure une fable totalement contemporaine.
 
Une petite dose de Voltaire (conte philosophique), un brin de Coluche (blagues et jeux de mots), une larme de Molière (satire de la société) une pincée de Monty Python (comique de situation), ce conte de fées moderne avec happy end (oui !) se déguste comme une friandise acidulée. Un ovni dans la rentrée littéraire 2013, qui a déjà envoûté les lecteurs : il est dans le peloton de tête des meilleures ventes depuis plusieurs semaines et a fait son entrée dans la dernière sélection du Prix Renaudot et un projet d'adaptation de son livre au cinéma serait déjà en route.
 
L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea Romain Puértolas (Le Dilettante - 250 pages – 19 euros)
 
Extrait :
– Excusez-moi, monsieur, auriez-vous l’heure, s’il vous plaît ?
L’Indien sursauta. Un quadragénaire en survêtement et sandalettes venait d’arrêter devant lui, non sans difficulté, un Caddie chargé d’une bonne dizaine de cartons que seul un champion de Tetris, ou un psychopathe, aurait pu ordonner de la sorte.
Pour Ajatashatru, la question avait ressemblé, à peu de chose près, à cela : Euskuzémoameussieuoriévouleursivouplé.
Bref, rien de bien compréhensible et qui ne pouvait entraîner de sa part aucune autre réponse que WHAT?
L’homme, voyant qu’il avait affaire à un étranger, tapota son poignet gauche avec son index droit. Le fakir comprit aussitôt, leva la tête vers le ciel, et, habitué à lire dans le soleil indien, donna l’heure au Français avec un décalage de trois heures et trente minutes. Son interlocuteur, qui comprenait l’anglais mieux qu’il ne le parlait, prit aussitôt conscience qu’il était horriblement en retard pour aller chercher les enfants à l’école pour la pause de midi et il reprit sa folle course en direction de sa voiture.
En regardant les gens entrer et sortir du magasin, l’Indien remarqua que très peu de clients, voire personne, n’était habillé comme lui, en costume de soie brillante. Et encore moins en turban. Pour l’effet caméléon, c’était raté. Il espéra que cela ne compromettrait pas toute la mission. Le look survêtement et sandalettes aurait de loin fait l’affaire. Dès son retour, il en parlerait à son cousin Jamlidanup (prononcez J’aime le Dan’Up). C’était lui qui avait insisté pour qu’il s’habille ainsi.
Ajatashatru observa un instant les portes de verre s’ouvrir et se refermer devant lui. Toute l’expérience qu’il avait de la modernité venait des films hollywoodiens et bollywoodiens vus à la télévision chez sa mère adoptive, Sihringh (prononcez Seringue, ou The Ring pour les plus anglophiles). Il était assez surprenant de voir combien ces artifices, qu’il considérait comme des joyaux de la technologie moderne, étaient d’une banalité affligeante pour les Européens qui n’y faisaient même plus attention. S’ils avaient eu ce type d’installation à Kishanyogoor (prononcez Quiche au yoghourt), il aurait contemplé chaque fois avec la même émotion les portes de verre de ce temple de la technologie. Les Français n’étaient que des enfants gâtés.

Romain Puertolas est né en 1975 à Montpellier. Fils de militaires (père et mère), il a été balotté de Montpellier à Valence en passant par l'Angleterre, puis les études le conduisent à Grenoble puis à Barcelone. Il voyage aussi dans le choix de sa profession : professeur, traducteur, pilote d'avion, découpeur de femmes dans un cirque autrichien (c'est lui qui le dit, on n'a pas vérifié) … Jusqu'au récent succès de son fakir, il exerçait la profession de lieutenant de police à la direction de la police aux frontières. L'écriture, Romain Puértolas dit qu'il a commencé tout petit. Il s'y met vraiment à l'âge de 30 ans, écrit " L’Œuf d’Einstein", un premier récit qu'il publie à compte d'auteur. Puis il envoie " le Jour où Shakespeare a inventé le moonwalk" au Dilettante. La lettre de refus qu'il reçoit ne le décourage pas. Il expédie trois mois plus tard le manuscrit de "L’Extraordinaire Voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea" et cette fois c'est la bonne. 

Rencontre avec Romain Puértolas

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