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"La chaleur" : le premier roman sidérant de Victor Jestin, 25 ans

L'auteur, sélectionné pour trois grands prix littéraires, signe un roman court et saisissant, qui se lit d'une traite. 

Article rédigé par Manon Botticelli
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Victor Jestin, auteur de La chaleur.  (Pascal Ito / Flammarion)

"Oscar est mort parce que je l'ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d'une balançoire, comme les enfants dans les faits divers". C'est sur ces premières phrases, noires et déroutantes, que s'ouvre La chaleur (Flammarion). Ce  premier roman de Victor Jestin, un nouvel auteur de 25 ans visiblement prometteur, figure dans les sélections du prix Renaudot, du prix Médicis et du prix Femina.

Le narrateur, c'est Léonard. L'adolescent est en vacances dans un camping avec sa famille, "trois étoiles au cœur d'une forêt de pins, au bord de l'océan. Piscine avec toboggans, airs de jeux, écran de karaoké, salle de fitness, soirées à thèmes". Jeune homme réservé, Léonard souffre de la chaleur étouffante, de la musique et de la joie du camping qu'il ne partage pas. Une nuit, il aperçoit Oscar, adolescent lui aussi, s’étrangler avec les cordes d’une balançoire dans un moment d’ivresse. Mais Léonard ne fait rien pour le sauver. Il va ensuite avoir un geste fou : transporter le corps d’Oscar et l’enterrer dans le sable, au bord de l'océan. Le lendemain, Léonard regrette et se trouve face à un dilemme : tout raconter ou sauver sa peau ? 

Une ambiance angoissante

Rien n'explique le geste de Léonard. A première vue, celui qui n'a fait que "peu de bêtises en dix-sept ans", n'a rien d'un criminel. C'est un garçon timide, plutôt mal dans sa peau. A un âge cruel où tout est dans les apparences, Léonard ne se sent pas à sa place parmi les jeunes du camping, qui parlent filles et dansent sur la plage au son des musiques du "Top Summer Hits". Il reste à Léonard une dernière journée de vacances avant de s'en aller et de laisser derrière lui le camping et le corps sans vie d'Oscar enterré sous la dune. Cette dernière image le hante, le poussant même à rôder autour du cadavre caché sous le sable. "Des enfants construisaient sans le faire exprès des châteaux à la mémoire d'Oscar."

Le faux calme des pins, le fracas des vagues dont on sait bien qu'elles ont déjà tué, et tous ces rires et cris de jouissance mêlés en un même écho sourd, comme dans les hangars mal éclairés des piscines à vagues pleines de chlore et d'angoisse.

Victor Jestin

La chaleur, page 47

Le déroulement de cette dernière journée s'étend sur près de 125 pages, où l'on suit, avec un récit à la première personne, Léonard traîner comme une âme en peine dans les allées étouffantes du camping, rongé par la culpabilité. Le jeune homme reste toujours aussi imperméable à la constante injonction au bien-être que prêchent les vacanciers. "On se trompait sur les sourires et les rires, la joie propagée dans les allées. C'était partout le même grand malentendu". Derrière la disharmonie du personnage avec son environnement, on perçoit une critique de l'usine à divertissement que le camping représente. Malgré cette ambiance pesante, Léonard se rapproche de Luce, une jeune fille dont il s'entiche. Si le scénario est dépouillé, l'écriture, souvent composée de phrases courtes, rythme efficacement l'histoire. 

L'atmosphère et la description de la vie au camping sont les grandes réussites de ce livre. L'angoisse du personnage, ses états d'âme, nous prennent littéralement à la gorge. Car malgré ses fragilités et névroses évidentes, on ne peut s'empêcher de prendre Léonard en sympathie. On tremble alors à l'idée qu'il finisse par tout révéler ou que soit découvert le corps enterré, alors que l'absence d'Oscar commence à inquiéter les autorités. C'est cette menace sourde qui nous tient en haleine. Un roman bourré de suspense, impossible à lâcher. 

Couverture de La chaleur, premier roman de Victor Jestin.  (FLAMMARION)

La chaleur, Victor Jestin (Flammarion – 144 pages – 15 €)

Extrait :

"J'ai senti ma lèvre trembler et les larmes revenir du fond de la nuit dernière, rattraper leur retard. Peu de bêtises en dix-sept ans. Aucune véritable grosse bêtise. Je n'avais jamais triché, volé, frappé. Insulté rarement. La haine et la colère, je les avais accumulés sagement. Ce n'était pas un accident. J'avais laissé mourir Oscar. J'aurais pu le sauver et je ne l'avais pas fait. Ensuite, j'avais caché son corps. Je ne me rappelais plus pourquoi. J'aurais pu m'en aller. On l'aurait découvert au même endroit. On aurait vu les marques sur son cou et l'alcool dans son sang, on aurait noté l'heure du décès. Cela aurait jeté un froid tel que tout le monde serait parti, moi compris, loin d'ici. Mais je l'avais enterré. C'était ça, la vraie bêtise. J'avais consacré ma nuit à enterrer un mort."

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