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"La grâce des brigands", une fantaisie seventies de Véronique Ovaldé
Avec son 8e roman, Véronique Ovaldé, remonte le temps jusqu'aux mythiques années 70, en Californie. Elle nous y embarque dans le sillage de Maria Cristina Väätonen, une jeune femme d'origine exotique avec passé familial étouffant, en quête d'émancipation. Un brillant roman de cette rentrée 2013.
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L'histoire : Maria Cristina Väätonen reçoit un coup de téléphone de sa mère, qu'elle n'a pas vue depuis 10 ans. Elle lui demande de venir chercher le fils de sa sœur. Maria Cristina Väätonen a grandi à Lapérouse, "une petite ville morne", entre son père, un géant d'origine finlandaise grandi avec les Inuits, sa mère bigote et une sœur jalouse. A 16 ans, elle fuit sa famille, s'installe à Santa Monica (Los Angeles), rencontre un écrivain obèse, talentueux et séducteur, écrit un roman à succès dans lequel elle règle ses comptes avec sa famille et partage tout avec son amie Joanne, un pur spécimen de la révolution hippie. Le retour aux origines et la rencontre avec un enfant opère un tournant décisif dans sa vie.
Véronique Ovaldé a choisi de situer son dernier roman loin de la France. Entre le Grand Nord canadien et la moiteur sensuelle de Santa Monica. Le récit se déroule aussi à une autre époque, celle des années 70, un temps que Véronique Ovaldé a peu connu, mais qui l'a bercée (elle est née en 1972). Pour une fois dans un roman d'Ovaldé, l'action est située dans l'espace et le temps. On s'éloigne donc un peu du conte même si la délocalisation spatiale et temporelle lui garde une dimension exotique et romanesque proche de la fable.
Véronique Ovaldé brosse un portrait subtil d'une femme partie de sa campagne, grandie dans un milieu légèrement arriéré et largement étouffant (sa mère est atroce), partie loin pour s'essayer à l'émancipation. Maria Cristina tire un trait définitif sur son passé, elle n'aura quasiment plus aucun contact avec sa famille pendant 10 ans, son père meurt sans qu'elle ait revu. Elle est "la vilaine sœur".
La trajectoire fulgurante d'une vie
L'émancipation commence dès l'enfance, avec la lecture ("Les livres servent, comme on le sait, à s'émanciper des familles asphyxiantes") et se poursuit après sa fuite. La libération passe alors par une sexualité qu'elle démarre en fanfare avec son vieil écrivain obèse, par l'amitié avec une fille affranchie, mère célibataire assumée, et aussi par l'écriture, même si cette dernière activité reste longtemps placée sous l'autorité de Claramunt, son mentor. Emancipation toute relative, donc, et c'est finalement en rentrant chez elle, en renouant d'une manière un peu étrange avec son passé, que Maria Cristina trouve enfin les chemins de son autonomie.
On ne sait pas trop d'où est écrite cette histoire,
Posture littéraire intéressante : le lecteur peut imaginer qui il veut dans le rôle du narrateur, qui reste indéfini (un brigand peut-être?). L'écriture de Véronique Ovaldé, souple, ludique et drôle, sert à merveille un personnage féminin attachant, figurant ce que la femme a vu s'ouvrir à elle avec la libération des mœurs des années 70 : une possible liberté ("la possibilité seule l'enchantait") qui l'oblige à trouver ses propres voies (au milieu des brigands), la trajectoire fulgurante d'une vie, inscrite dans une histoire enracinée.
"La grâce des brigands", ce serait un peu le roman des années 70 digérées, sur lesquelles seraient passées les filtres du temps, de l'iconographie cinématographique et musicale et aussi du monde imaginaire prolifique de Véronique Ovaldé, car l'écrivain place son écriture dans un espace définitivement fictionnel, ce qui n'est pas si courant chez ses contemporains (français).
Si "le but de toutes les histoires, c'est de satisfaire les désirs de ceux qui les lisent", et bien l'on peut dire que c'est réussi, "La grâce des brigands" est l'un des très bon roman de la rentrée littéraire 2013.
La grâce des brigands Véronique ovaldé (L'Olivier – 283 pages – 19.50 euros)
La BO du livre Extrait (à lire en écoutant la BO du livre)
Maria Cristina Väätonen, la vilaine soeur, adorait habiter à Santa Monica.
La première raison de cette inclination, celle qu'elle n'avouerait sans doute pas ou alors seulement sous forme de boutade, en riant très fort et très brièvement, c'est qu'elle avait la possibilité à tout moment de déguster des cocktails de crevettes et des glaces à la pastèque sur le front de mer.
Elle pouvait s'asseoir dans un restaurant pour touristes aisés où le serveur l'interpellait par son prénom et ajoutait toujours des cacahuètes pilées à ses crevettes -il ne disait pas cacahuètes, il disait, Je vous ai mis des arachides, Maria Cristina, et il roulait les r suavement, peut-être pour faire croire qu'il n'était pas du coin. Et elle pouvait s'installer sur la terrasse du restaurant à une table qu'aucun client de passage n'aurait eu le droit d'occuper. La terrasse surplombait la baie du haut de ses pilotis, et on y sirotait des sangrias avec lenteur en contemplant le soleil qui disparaissait au fond du Pacifique dans une apothéose fuchsia. Puis Maria Cristina pouvait décider de prendre sa décapotable verte et rouler le plus vite possible sur l'autoroute, remonter la nuit Mulholland Drive au volant de sa voiture et sentir le vent frais qui vient des jardins des multimillionnaires, les jardins qu'on arrose à minuit pour que les orchidées et les roses au nom latin se sentent à leur aise, elle pouvait goûter sur son visage l'humidité des bambouseraies qu'on fait pousser en plein désert, et ensuite rentrer chez elle à l'heure qui lui plaisait, garer sa voiture en mordant sur le trottoir près du petit chemin qui descend vers la plage, claquer la porte de son appartement, jeter les clés par terre, se défaire de ses vêtements en les laissant simplement tomber sur le sol, mettre très fort la musique et allumer toutes les lumières comme si elle avait une minicentrale électrique pour son usage personnel dans le sous-sol.
Elle pouvait faire tout cela mais ne le faisait quasiment jamais.
La possibilité seule l'enchantait et lui suffisait.
Maria Cristina Väätonen aurait probablement aimé être une femme scandaleuse.
Véronique Ovaldé est née en 1972 au Perreux-sur-Marne, elle travaille dans l'édition et vit à Paris avec ses deux enfants. Elle est l'auteur de "Le Sommeil des poissons" (Le Seuil, 2000), "Toutes choses scintillant" (Éditions de l'Ampoule, 2002), "Les Hommes en général me plaisent beaucoup" (Actes Sud, 2003), "Déloger l'animal" (Actes Sud, 2005), "Et mon cœur transparent" (Éditions de l'Olivier, prix France Culture-Télérama 2008), "Ce que je sais de Vera Candida" (L'Olivier, Grand Prix des lectrices de Elle 2010, prix France Télévisions 2009, prix Renaudot des lycéens 2009) et "Des vies d’oiseaux" (L'Olivier, 2011). Ses romans sont été traduits dans de nombreux pays. Elle a reçu la Bourse Goncourt du livre jeunesse avec l'illustratrice Joëlle Jolivet pour leur album, La Très Petite Zébuline (Actes Sud Junior, 2006). Elle participe régulièrement à des performances avec des artistes : production de multiples avec Françoise Quardon, performances avec Hervé Trioreau (Lieu Unique, Nantes, 2005), Louis Vermot (Correspondances de Manosque, 2005), lectures (festival d’Avignon, jardin des Doms, 2006).
Source Editions de l'Olivier
Véronique Ovaldé a choisi de situer son dernier roman loin de la France. Entre le Grand Nord canadien et la moiteur sensuelle de Santa Monica. Le récit se déroule aussi à une autre époque, celle des années 70, un temps que Véronique Ovaldé a peu connu, mais qui l'a bercée (elle est née en 1972). Pour une fois dans un roman d'Ovaldé, l'action est située dans l'espace et le temps. On s'éloigne donc un peu du conte même si la délocalisation spatiale et temporelle lui garde une dimension exotique et romanesque proche de la fable.
Véronique Ovaldé brosse un portrait subtil d'une femme partie de sa campagne, grandie dans un milieu légèrement arriéré et largement étouffant (sa mère est atroce), partie loin pour s'essayer à l'émancipation. Maria Cristina tire un trait définitif sur son passé, elle n'aura quasiment plus aucun contact avec sa famille pendant 10 ans, son père meurt sans qu'elle ait revu. Elle est "la vilaine sœur".
La trajectoire fulgurante d'une vie
L'émancipation commence dès l'enfance, avec la lecture ("Les livres servent, comme on le sait, à s'émanciper des familles asphyxiantes") et se poursuit après sa fuite. La libération passe alors par une sexualité qu'elle démarre en fanfare avec son vieil écrivain obèse, par l'amitié avec une fille affranchie, mère célibataire assumée, et aussi par l'écriture, même si cette dernière activité reste longtemps placée sous l'autorité de Claramunt, son mentor. Emancipation toute relative, donc, et c'est finalement en rentrant chez elle, en renouant d'une manière un peu étrange avec son passé, que Maria Cristina trouve enfin les chemins de son autonomie.
On ne sait pas trop d'où est écrite cette histoire,
Posture littéraire intéressante : le lecteur peut imaginer qui il veut dans le rôle du narrateur, qui reste indéfini (un brigand peut-être?). L'écriture de Véronique Ovaldé, souple, ludique et drôle, sert à merveille un personnage féminin attachant, figurant ce que la femme a vu s'ouvrir à elle avec la libération des mœurs des années 70 : une possible liberté ("la possibilité seule l'enchantait") qui l'oblige à trouver ses propres voies (au milieu des brigands), la trajectoire fulgurante d'une vie, inscrite dans une histoire enracinée.
"La grâce des brigands", ce serait un peu le roman des années 70 digérées, sur lesquelles seraient passées les filtres du temps, de l'iconographie cinématographique et musicale et aussi du monde imaginaire prolifique de Véronique Ovaldé, car l'écrivain place son écriture dans un espace définitivement fictionnel, ce qui n'est pas si courant chez ses contemporains (français).
Si "le but de toutes les histoires, c'est de satisfaire les désirs de ceux qui les lisent", et bien l'on peut dire que c'est réussi, "La grâce des brigands" est l'un des très bon roman de la rentrée littéraire 2013.
La grâce des brigands Véronique ovaldé (L'Olivier – 283 pages – 19.50 euros)
La BO du livre Extrait (à lire en écoutant la BO du livre)
Maria Cristina Väätonen, la vilaine soeur, adorait habiter à Santa Monica.
La première raison de cette inclination, celle qu'elle n'avouerait sans doute pas ou alors seulement sous forme de boutade, en riant très fort et très brièvement, c'est qu'elle avait la possibilité à tout moment de déguster des cocktails de crevettes et des glaces à la pastèque sur le front de mer.
Elle pouvait s'asseoir dans un restaurant pour touristes aisés où le serveur l'interpellait par son prénom et ajoutait toujours des cacahuètes pilées à ses crevettes -il ne disait pas cacahuètes, il disait, Je vous ai mis des arachides, Maria Cristina, et il roulait les r suavement, peut-être pour faire croire qu'il n'était pas du coin. Et elle pouvait s'installer sur la terrasse du restaurant à une table qu'aucun client de passage n'aurait eu le droit d'occuper. La terrasse surplombait la baie du haut de ses pilotis, et on y sirotait des sangrias avec lenteur en contemplant le soleil qui disparaissait au fond du Pacifique dans une apothéose fuchsia. Puis Maria Cristina pouvait décider de prendre sa décapotable verte et rouler le plus vite possible sur l'autoroute, remonter la nuit Mulholland Drive au volant de sa voiture et sentir le vent frais qui vient des jardins des multimillionnaires, les jardins qu'on arrose à minuit pour que les orchidées et les roses au nom latin se sentent à leur aise, elle pouvait goûter sur son visage l'humidité des bambouseraies qu'on fait pousser en plein désert, et ensuite rentrer chez elle à l'heure qui lui plaisait, garer sa voiture en mordant sur le trottoir près du petit chemin qui descend vers la plage, claquer la porte de son appartement, jeter les clés par terre, se défaire de ses vêtements en les laissant simplement tomber sur le sol, mettre très fort la musique et allumer toutes les lumières comme si elle avait une minicentrale électrique pour son usage personnel dans le sous-sol.
Elle pouvait faire tout cela mais ne le faisait quasiment jamais.
La possibilité seule l'enchantait et lui suffisait.
Maria Cristina Väätonen aurait probablement aimé être une femme scandaleuse.
Véronique Ovaldé est née en 1972 au Perreux-sur-Marne, elle travaille dans l'édition et vit à Paris avec ses deux enfants. Elle est l'auteur de "Le Sommeil des poissons" (Le Seuil, 2000), "Toutes choses scintillant" (Éditions de l'Ampoule, 2002), "Les Hommes en général me plaisent beaucoup" (Actes Sud, 2003), "Déloger l'animal" (Actes Sud, 2005), "Et mon cœur transparent" (Éditions de l'Olivier, prix France Culture-Télérama 2008), "Ce que je sais de Vera Candida" (L'Olivier, Grand Prix des lectrices de Elle 2010, prix France Télévisions 2009, prix Renaudot des lycéens 2009) et "Des vies d’oiseaux" (L'Olivier, 2011). Ses romans sont été traduits dans de nombreux pays. Elle a reçu la Bourse Goncourt du livre jeunesse avec l'illustratrice Joëlle Jolivet pour leur album, La Très Petite Zébuline (Actes Sud Junior, 2006). Elle participe régulièrement à des performances avec des artistes : production de multiples avec Françoise Quardon, performances avec Hervé Trioreau (Lieu Unique, Nantes, 2005), Louis Vermot (Correspondances de Manosque, 2005), lectures (festival d’Avignon, jardin des Doms, 2006).
Source Editions de l'Olivier
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