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"La succession", vue par Jean-Paul Dubois

Cinq ans après "Le cas Sneijder", récemment adapté au cinéma, Jean-Paul Dubois revient avec "La Succession", l'histoire de Paul, joueur de "cesta punta" (pelote basque) installé en Floride, dont la vie bascule à l'annonce de la mort de son père, qui s'est suicidé. Un roman sur la transmission, la fin de vie et le déterminisme familial, qui conjugue mélancolie et humour noir.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Jean-Paul Dubois publie "Succession", son 20e roman (L'Olivier)
 (Patrice Normand / Opale/ Leemage/ Editions de l'Olivier)
L'histoire : Le héros s'appelle Paul, comme dans presque tous les romans de Jean-Paul  Dubois. Quand on fait sa connaissance, Paul Katrakilis  est encore jeune. Il a 28 ans et vit en Floride, à Miami, où il joue à un niveau professionnel de la pelote basque, un sport qu'il pratique depuis l'enfance, et qu'il adore. Il est médecin non  pratiquant (il a passé les diplômes, mais n'a jamais exercé), et il est heureux. Jusqu'au jour où on lui annonce la mort de son père, médecin (pratiquant, lui) à Toulouse. Il s'est suicidé en se jetant dans le vide. On l'a retrouvé écrasé au bas d'un immeuble, mâchoire et lunettes scotchées. Paul rentre après plusieurs années d'absence, pour enterrer son père et vider la maison. Ce voyage le replonge dans sa vie d'avant, celle d'une enfance dans une famille loufoque et suicidaire, qu'il s'est efforcé d'oublier.

Suicides en série

Dans cette famille, il y a le grand-père russe prénommé Spyridon, qui conserve dans le formol une tranche du cerveau de Staline, dont il fut le médecin en URSS. Le grand-père se donnera la mort. Le père, Adrian, grec, médecin aussi, est un peu excentrique (il aime faire ses consultations en short) et apparemment totalement privé d'affects. Il y a aussi l'oncle Jules, qui passe "toute sa vie avec sa sœur sous le toit du docteur" et se donne la mort en projetant sa moto à vive allure contre un mur, trois jours après avoir reçu un coup de téléphone mystérieux. Deux mois plus tard, la mère de Paul le suit dans la mort en se suicidant au monoxyde de carbone dans le garage, au volant d'une Triumph…

Ces morts tragiques laissent ceux qui restent sans réaction, regardant passer les morts "comme une vague femme de ménage". Paul, fils unique, a donc grandi dans cette maison où "chacun vivait pour soi (…), ceint de ce périmètre d'indifférence". Seule la période estivale au Pays basque lui apporte chaque été une bouffée d'oxygène avec le bonheur de pratiquer la pelote basque.

"Un jour tu finiras par prendre ma succession"

"Il ne faut jamais se tromper de vie. Il n'existe pas de marche arrière". Cette phrase prononcée un jour par l'oncle Jules accompagne Paul tout au long de son existence, et le pousse à quitter la France pour aller vivre sa passion pour la chistera à Miami. Mais peut-on vraiment échapper au destin ? C'est la question qui traverse tout le roman de Jean-Paul Dubois. "Un jour, tu finiras par prendre ma succession" lui avait prédit son père dans une lettre en 1983, alors qu'il venait de s'installer à Miami. Paul a tenté une échappée. Quatre ans de bonheur, une bulle. C'est toujours mieux que rien.

Le roman de Jean-Paul Dubois, imprégné d'une langueur mélancolique, interroge le lecteur sur la question de savoir si l'on peut vraiment choisir sa vie, avec les héritages qu'elle nous impose. Le romancier explore la "succession" au sens de l'héritage, mais aussi dans le sens de la vie comme suite d'événements qui s'égrènent, selon une trajectoire plus difficile à maîtriser que celle, majestueuse et libre, de la pelote. Jean-Paul Dubois tricote avec une dérision bien dosée les épisodes tragiques et les petits et grands bonheurs qui jalonnent l'existence de ce personnage modeste, poussé dans un monde foutraque, qui tente malgré tout de tracer son chemin. Un roman sombre et attachant de cette rentrée 2016. 
 
"La succession", de Jean-Paul Dubois (Editions de l'Olivier – 234 pages – 19 euros)

Extrait :
"Ce furent des années merveilleuses. Quatre années prodigieuses durant lesquelles je fus soumis à un apprentissage fulgurant et une pratique intense du bonheur. Il m'avait fallu attendre vingt-huit ans pour éprouver chaque jour cette joie d'être en vie au petit matin, de courir pour polir mon souffle, de respirer librement, de nager sans peur, et de ne rien espérer d'autre d'une journée sinon qu'elle m'accompagne comme l'on promène une ombre et que le soir venu elle me laisse en l'état, simplement satisfait, abruti de quiétude et de paix loin de ce territoire désarticulé que j'avais abandonné, et surtout loin de ceux qui m'avaient mis au monde par des voix naturelles, m'avaient élevé, éduqué, détraqué et sans aucun doute transmis le pire de leurs gènes, la lie de leurs chromosomes."

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