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"La vie clandestine" : ce que la romancière Monica Sabolo a déterré de sa propre vie en enquêtant sur Action directe

Dans son dernier roman, Monica Sabolo mène en parallèle le récit de l'histoire d'Action directe et celui de sa propre enfance, deux histoires marquées par la violence, et la clandestinité.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
Portrait de la romancière française Monica Sabolo, juin 2022 (Francesca Mantovani)

Après  Crans-Montana (2015), Summer (2017), ou Éden (2019), la romancière Monica Sabolo raconte dans son septième roman, La vie clandestine, paru le 18 août aux éditions Gallimard, son enquête sur l'histoire du groupe terroriste d’extrême gauche Action directe, qui a fait resurgir un traumatisme subi dans l'enfance, et plus largement émerger les zones d'ombre, les secrets et le caractère "clandestin" de sa propre histoire familiale.

L'histoire : La romancière traverse une période de doutes. Assaillie par des tracasseries domestiques et par des questions existentielles, elle ne trouve plus dans l'écriture le refuge qu'elle lui procurait jusque-là. Après avoir acheté en ligne une buse empaillée qui ne lui est d'aucun réconfort, elle décide d'écrire "quelque chose de facile et d'efficace, qui aurait des chances de se vendre". Le sujet lui tombe dessus alors qu'elle écoute en se brossant les dents l'émission de France Inter Affaires sensibles. "Tuer. Car c'est la décision glaçante que prennent deux femmes et deux hommes, Nathalie Menigon, Joëlle Aubron, Jean-Marc Rouillan et Georges Cipriani, un soir d'hiver à Paris". L'émission est consacrée à Action directe et à l'assassinat de Georges Besse, le patron de Renault, le 20 novembre 1986.

"C'était un bon sujet. J'allais écrire un truc facile, et spectaculaire, rien n'était plus éloigné de moi que cette histoire-là". La romancière se lance dans son enquête, d'abord dans les livres, dans les archives, sur internet, puis en rencontrant les protagonistes, périphériques puis majeurs, de cette histoire. Ce projet éditorial s'avère en fait beaucoup plus compliqué que prévu. "Je me suis fourrée dans un sacré merdier. Cette histoire est bien trop complexe. Je n'arrive pas à me faire d'opinion ni sur les êtres, ni sur leurs actes".

L'inceste

Pire, au fur et à mesure de son enquête, la romancière découvre avec stupeur "que les années Action directe sont faites de ce qui la constitue : le secret, le silence et l'écho de la violence". Résultat, ce projet à l'origine conçu comme une diversion à ses questions existentielles la conduit tout droit, et de manière totalement inattendue, vers sa propre vérité, en faisant remonter les secrets d'une famille où la clandestinité était un sport national.

A commencer par sa propre naissance, clandestine. Elle est le fruit d'une liaison à la fin des années 60 en Italie, à Milan, entre sa très jeune mère et un homme marié, qui l'abandonne quand elle tombe enceinte. La petite fille est ensuite adoptée à l'âge de trois ans par le mari de sa mère, un certain Yves S., expert en art précolombien, dont les activités ne sont pas bien claires. Puis encore une fois le secret, le silence, et la clandestinité quand plus tard, ce père se met à abuser d'elle…

Dans cette double enquête, Monica Sabolo interroge la question du crime, et celle de la culpabilité et du pardon. Ni les terroristes, ni son père n'expriment de regrets, de remords. Comment deux jeunes filles en apparence "normales" ont pu passer à l'acte et tuer de sang-froid? "Si je commence à penser, je doute de tout. Pour avancer, il ne faut pas réfléchir, ni se remettre en question", lui dit Nathalie Ménigon quand elle la rencontre.

Et son père ? Comment en est-il venu à franchir la ligne rouge avec elle ? "Ce genre de chose arrive tout le temps, dans les familles", lui assène Yves S. quand elle ose en parler quelques années plus tard. "C'est très courant", ajoute-t-il après avoir lâché un vague "pardon".

"Dans les souterrains du monde"

En se frottant à la violence radicale, assumée, du terrorisme, la narratrice met à jour celle qu'elle a subie, calfeutrée, plus sournoise, plus compliquée à identifier. "Serait-il possible que l’Histoire ne parle en vérité que de nous-mêmes ?" s'interroge Monica Sabolo.

Au cours de son enquête, elle approche au plus près les membres d'Action directe, rencontre même Nathalie Ménigon, et dresse des portraits humains de ces gens qui dans leur jeunesse ont fait le choix de la lutte armée et du meurtre pour défendre leurs idéaux.

Ces êtres, qui "se promènent comme elle dans les souterrains du monde" sont devenus pour elle un refuge, mais jamais elle ne justifie leurs actes. "Je ne sais toujours pas qui ils sont, tous, mais je dois faire face à une idée troublante : entre eux et moi, un lien se tisse. Ils ne me sont pas aussi étrangers que je le voudrais", remarque la narratrice, qui craint "de les comprendre, ou même, à certains égards, de leur ressembler".

Les deux récits se déploient d'abord en juxtaposition, puis peu à peu se rejoignent pour composer un roman qui mêle récit documentaire et introspection, dans une forme littéraire singulière à laquelle il faut un peu s'accrocher, mais cela en vaut la peine. A l'issue de cette enquête, une expérience racontée avec une sincérité bouleversante, la romancière échappe enfin à ce "lieu de ténèbres" qu'elle "arpente" depuis toujours "dans l'obscurité".

Couverture du roman de Monica Sabolo, "La vie clandestine", août 2022 (GALLIMARD)

La vie clandestine, de Monica Sabolo (Gallimard, 336 pages, 21 €)  

Extrait :

"Nathalie Ménigon porte une parka, un jean, et un gigantesque sac en cuir rose bonbon. Elle est grande, très grande, de longues jambes, de longs bras. Je reconnais la légère claudication, celle qu'évoquait ce témoin, le soir de l'assassinat de Georges Besse, et qui l'a marqué plus que le reste, plus que le revolver avec lequel elle l'a mis en joue, plus que son regard, froid, étrangement absent. Ses yeux verts se posent sur moi, ils ne sont pas froids, juste inquiets. Elle s'approche, très vite, et me lance, sans même dire bonjour, sans agressivité, mais avec une anxiété palpable : «Je n'aime pas parler. »" (La vie clandestine, p. 274)

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