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Le destin du fils illégitime de Karl Marx retracé dans un roman efficace de Sébastien Spitzer, "Le cœur battant du monde"

Un deuxième roman, présélectionné pour le prix Goncourt et le Goncourt des lycéens, en forme de polar historique. 

Article rédigé par franceinfo Culture - Carine Azzopardi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
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Sébastien Spizter (ALEXANDRE MARCHI / MAXPPP)

Le "cœur battant du monde", dans les années 1860, c’est la Bourse de Londres où Karl Marx, surnommé le Maure pour son teint hâlé et ses cheveux très noirs, investit dans des actions ferroviaires et mise l’héritage de son père sur des fonds américains ; pendant que son comparse Engels, qui a comme lui été chassé de Prusse, fait tourner ses usines textiles, bravant la crise du coton provoquée par la guerre de Sécession, en soudoyant les douaniers au marché noir.

Secret de Polichinelle

Voilà pour le décor du Cœur battant du monde (Albin Michel), deuxième roman de Sébastien Spitzer, qui après s’être attaqué à la vie de Martha Goebbels dans son premier ouvrage, s’est penché sur le destin quasi méconnu du fils caché que Karl Marx a eu dans les années 1850 avec sa bonne. Freddy, né en 1851, et mort sans descendance en 1929, a été soustrait à sa mère, et élevé par une famille d’accueil à Londres. Sa mère était une domestique allemande attachée aux Von Westphalen, grande famille prussienne dont est issue Jenny Marx, la femme de Karl, dont il a par ailleurs sept enfants. Karl Marx n’assumera jamais sa paternité, même si c’était un secret de polichinelle, et Engels finira par adopter l’enfant.

"Dans ce livre", explique Sébastien Spitzer, "tout est vrai, ou presque" : la relation névrotique de Karl Marx à l’argent, son mode de vie bourgeois et sa puissance de travail, son attrait pour le luxe et son incapacité à gagner le moindre sou. Engels et ses contradictions : chassant le renard avec les pairs du royaume et appelant les ouvriers à la révolution.

Engels entretient l’auteur du "Capital"

"Engels est devenu riche malgré lui ! Les banquiers le consultent. Les patrons du Stock Exchange le suivent. A Manchester, Engels est un nom respecté. Il est le roi du coton." 

Mais avant cela, tous ont traversé la crise du coton, bloqué en Amérique par la guerre de Sécession. Une période difficile. Et c’est en ces mots que l’auteur fait portraiturer à la domestique des Marx son patron : "Saleté de bon à rien. Et après, c’est moi qui dois faire face au boucher, qui dois le supplier de me faire confiance, comme chez le boulanger ou le marchand de fruits aussi. Ça fait cossu d’avoir une employée. Ah oui ça ! Ça fait riche ! Mais ils n’ont rien ! Que dalle ! Que le nom de Madame, usé jusqu’à la corde. Un jour, quand ils avaient trop faim, il a envoyé une lettre d’embauche à une compagnie des chemins de fer. La première, en dix ans ! Pourtant, il a fait des études. Il est docteur. Faut qu’on l’appelle docteur. Intelligent, ça… et comment ! Il vous tient en haleine des heures sans respirer tellement il a d’idées en tête. Mais pour ce qui est de faire, alors là, y a plus personne.

L'auteur manie l’ironie historique avec brio, dépeint le père du communisme comme un suppôt du capitalisme, consommateur compulsif, qui plus est qui fume le cigare du matin au soir, et du soir au matin : "Le Maure (…) pense, mieux qu’aucun autre, mais il dépense aussi, beaucoup, bien plus qu’il ne gagne. Cet homme, grande figure du socialisme, vit depuis toujours d’expulsions et de dettes. Il débourse par impulsions, par vagues irrésistibles". Engels, l’ami fidèle, est décrit, lui, comme le cheval de Troie, au cœur du système capitaliste, mais qui rêve de le faire tomber. En attendant, ses usines qui tournent, avec leurs 400 employés, lui permettent de financer l’auteur du Capital qui peut ainsi passer ses journées à penser à l’ouvrage de sa vie.

Finalement, le destin du fils caché de Karl Marx, raconté de manière assez fluide, dans un style sec, aux phrases nominales minimalistes qui donnent au récit un côté haletant, importe moins que la galerie de portraits historiques réalisés à cette occasion, dont la psychologie est pourtant parfois à peine effleurée. Une histoire intrigante et méconnue, sorte de prétexte romanesque, qui permet de se replonger dans la grande Histoire, l’air de rien.

Couverture de "Le coeur battant du monde", de Sébastien Spitzer (Ed. Albin Michel)

"Le cœur battant du monde", de Sébastien Spitzer, publié aux éditions Albin Michel le 21 Août 2019, 441 pages, 21€90.

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